Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr - 1:09

167 résultats trouvés pour mort

Edmond Jabès

Le Livre des questions

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C’est encore une nouvelle découverte de hasard à Emmaüs. Une édition originale, Blanche de Gallimard, avec dédicace de l’auteur. Surtout, il y a ce plaisir sensuel de glisser le coupe-papier entre les feuilles, d’entendre le bruit feutré du papier déchiré (ça vous intéresse monsieur Freud ?) ; gestes qui scandent à merveille la lecture de ce livre qui se déguste à petites gorgées. Hélas, les publications actuelles avec leur papier glacé, leurs pages massicotées, leur texte reproduit numériquement, nous ont ôté ces sensations qui s’accordaient tellement avec le plaisir de la lecture.

Jabès a écrit sept recueils sous le titre de Le Livre des questions, le premier portant ce nom dont il sera question ci-dessous, Le Livre de Yukel, Le Retour au livre, Yaël, Elya, Aely et El, ou le dernier livre.

Le premier opus se présente comme une succession d’aphorismes, de dialogues et de commentaires, de fragments de journaux, de sentences et de réflexions émises par de faux rabbins. Une histoire cherche parfois à s’élaborer, puis se perd, retrouve son fil, par fragments, entre rêve et réalité. Mais qu’importe puisque tout se transmue en poésie.

Il y est question de Yukel et de Sarah, deux jeunes amants revenus de la Shoah, non sans dommages, Sarah Schwall, aux initiales S.S., ayant perdu la raison dans le camp.

Le livre de Jabès est un livre particulier, la référence au verbe divin est explicite, livre unique car écrit par l’auteur mais aussi écrivant celui-ci dans l’espace et le temps, relation particulière entre l’écrivain et son texte.

Le livre de Jabès est empreint de mysticisme et de religiosité juive, ce qui pourrait paraître rebutant pour certains. En fait son discours et de portée universelle. Au travers du peuple élu c’est toute l’humanité qui est concernée.

Pas de trop longs discours lorsqu’il s’agit de poésie, place aux citations :

Enfant, lorsque j’écrivis, pour la première fois, mon nom, j’eus conscience de commencer un livre
Reb Stein


Le présent, pour toi, est ce passage trop rapide pour être saisi. Ce qui reste du passage de la plume, c’est le mot avec ses branches et ses feuilles vertes ou déjà mortes, le mot projeté dans le futur pour le traduire.
Tu lis l’avenir, tu donnes à lire l’avenir et hier tu n’étais pas et demain tu n’es plus.
Et pourtant, tu as essayé de t’incruster dans le présent, d’être ce moment unique où la plume dispose du mot qui va survivre.
Tu as essayé.


Il y a les vainqueurs, disait le rabbin prisonnier, disait le saint prisonnier, avec leur arrogance, leur éloquence, et il y a les vaincus sans paroles et sans signes.
La race des muets est tenace.


Je crois à la mission de l’écrivain. Il la reçoit du verbe qui porte en lui sa souffrance et son espoir. Il interroge les mots qui l’interrogent, il accompagne les mots qui l’accompagnent. L’initiative est commune et comme spontanée. De les servir – de s’en servir – il donne un sens profond à sa vie et à la leur dont elle est issue.


Tu ne te doutais pas, mère, qu’en me concevant, tu léguais au jour des feuilles de chair et de lumière pour toutes les phrases qui sont des tatouages que j’allais être appelé à défendre ; pour toutes les phrases qui sont des banderoles et des insectes.
Tu taillais, à vif, dans le cri.


Mon pouce est un gardien sauvage, disait Reb Hakim. Mon index fut le plus prompt à reconnaître l’étoile du berger. Mon médius, le plus lointain, est le rêve qui éconduit les rives. Mon annulaire porte, à sa base, nos serments et nos chaînes. Les sons habitent et habillent de diamants mon auriculaire.
Mais l’index est mon préféré, car il est toujours prêt à sécher une larme.


L’intransigeance du croyant est pareille à une lame de rasoir dont le souci est d’être tranchante


Je vous parlerai des divers passages que l’être se fraie dans la nuit des songes jusqu’au verbe.
Il y a, d’abord, ce tracé à peine visible de la lettre à la lettre, de l’ombre à une ombre moins sombre ; puis cette percée déjà consciente du vocable ; enfin cette route pavée du discours et des récits domptés.
Mais ne croyez pas que la folie nous ait jamais quittés ; comme la douleur, elle nous guette à chaque étape, je veux dire à chaque fois que nous butons à la parole cachée dans la parole, à l’être enfoui dans l’être.
Pauvres que nous sommes de ne pouvoir frôler la démence sans risquer de ne plus recouvrer la raison.


Une page blanche est un fourmillement de pas sur le point de retrouver leurs traces. Une existence est une interrogation de signes.


Quelle différence y a-t-il entre l’amour et la mort ? Une voyelle enlevée au premier vocable, une consonne ajoutée au second..
J’ai perdu à jamais ma plus belle voyelle.
J’ai reçu en échange la cruelle consonne.


Mots-clés : #genocide #mort #poésie #religion #spiritualité
par ArenSor
le Jeu 11 Oct - 19:18
 
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Sujet: Edmond Jabès
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Daniel Pennac

Mon  frère

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 00538310

Bernard, son grand frère qui l'a tant protégé enfant, avec qui, adulte  il a partagé des parties d'échec, des ballades avec leurs chiens, beaucoup d'amour et peu de confidences, est mort il y a seize mois. Quoique d'une riche personnalité, c'était un type plutôt en retrait, ce que lui reprochait son épouse,  et c’est sans doute cela qui a poussé Daniel Pennac à mettre Bartleby en scène.

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 Proxy_19


Ce récit alterne donc des histoires sur le frère de Pennnac, qui le rendent assez sympathique, et des éléments sur la pièce qu'il a jouée. Tout cela est intercalé, en chapitres alternants, avec le texte coupé de Bartleby, écrit en italique,  que Pennac a utilisé au théâtre. Au total sur 120 pages, 74 , souvent courtes, sont de Pennac. Si son frère paraissait en effet un type bien (comme c'est souvent le cas dans les éloges funèbres), s'il y a quelque moments d'émotion, le texte est quand même bien léger et tout cela est assez paresseux, sans que cela remette en cause la sincérité de l'auteur.



mots-clés : #autobiographie #fratrie #mort #théâtre
par topocl
le Jeu 4 Oct - 17:45
 
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Ivan Jablonka

Ame soeur

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C'est expliqué dans la post-face, il s'agit d'une œuvre de jeunesse, publiée sous pseudonyme, qui n'a eu aucun succès, et qu'un éditeur a proposé à Ivan Jablonka de ressortir sous son vrai nom, maintenant qu'on peut considérer que celui-ci  fait vendre (la post-face présente les choses de façon un peu moins pragmatique).

Une histoire de frère et sœur à l'entrée de l'âge adulte, qui ne se sont pas trop connus au-delà du fait assez commun qu'enfant le garçon faisait bouffer du gazon à la fille. Chacun de son côté, elle sage et lui rebelle, bien paumés tous les deux entre des parents sérieux et lisses.

La fille "profite" du voyage de son frère au Maroc pour mourir, et, un peu par hasard, son journal intime tombe entre les mains  de ce dernier va donner quelques clés familiales.

Le voyage au Maroc (ou retourne le jeune homme) est l'occasion d'un jeu de miroirs entre une petite banlieue d'Amiens et un bled pas loin de Rabat, qui va bien au côté sociologue de Jablonka. Mais le jeune loser puceau, la prostituée noire à laquelle il ne touche pas (mais fait lire le journal intime), ont un relent de déjà vu que n'arrivent pas à cacher la gouaille assumée et le tendre cynisme du jeune homme.

Bref une œuvre de jeunesse, avec ce que cela a de défauts, mais une certaine fraîcheur aussi; et dont on comprend pourquoi ce n'est pas elle qui a révélé Jablonka, lequel ne gagne pas forcément à ce petit retour en arrière nostalgique (ou commercial?), ayant sans doute fait le bon choix entre l'histoire et le roman.


mots-clés : #fratrie #jeunesse #mort #voyage
par topocl
le Jeu 4 Oct - 14:54
 
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Sujet: Ivan Jablonka
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Jean-Philippe Domecq

L'amie, la mort, le fils

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 Proxy_59

Anne de Fourmentelle, psychanalyste, philosophe, écrivain, femme -phare de son cercle d'amis, est morte sur la plage, après avoir sauvé de la noyades les enfants-adolescents de ceux-ci. Jean-Philippe Domecq, lui-même écrivain, est de ceux là, son fils doit la vie à cette amie si chère.

Il n'a trouvé d'autre voix que d'écrire les instants, l'émotion, le chagrin qui ont marqué les quelques semaines  allant du moment où il a été prévenu, où il a assisté avec les autres aux derniers instants sur la plage, puis intimement vécu ce choc après lequel rien ne sera plus jamais pareil.

Il y a les faits dont la précision rattachent à la vie, qui, implacable, continue, et une émotion, une pensée,  un cri, face à ce cataclysme qui bouleverse un petit microcosme. Si  le portrait d' Anne qui parcourt les pages n'est pas la meilleure partie, il y a une belle pudeur lyrique qui conduit cet homme sur un chemin où il fait le choix de refuser le deuil, l'apaisement, en tout cas pour un temps.

mots-clés : #amitié #mort
par topocl
le Mer 3 Oct - 11:29
 
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Sujet: Jean-Philippe Domecq
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Mathias Enard

Remonter l’Orénoque

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 Visuel10

Parallèlement au récit de la remontée de l’Orénoque par Joana, Ignacio écrit ce roman (plutôt une novella, environ 150 pages) en racontant comment Youri, son collègue chirurgien, s’est mis à sombrer dans l’alcool et la folie en poussant dans ses bras son amante, Joana justement, l’infirmière dont lui-même s’est épris.
La quête de sens, le désir et l’amour, surtout le thème du corps traversent Joana enceinte et les patients, mais ce n’est que l’un des fils qui s’entrelacent dans ces histoires, et l’Histoire, qui remontent vers les vagues sources originelles.
C’est encore une nouvelle voie parcourue par Enard, avec une nouvelle voix, un style adapté au propos (deuxième roman écrit par l’auteur, cinquième que je lis de lui).
Bien sûr la promesse de la remontée du fleuve équatorial n’est pas tenue, c’est d'ailleurs un rêve inatteignable par l’écriture (mais qui ne meurt pas même si on l’a vécu parfois), sauf peut-être dans l’Ecuador de Michaux, qui n’en dit pratiquement rien…
Enard fait référence à Jules Crevaux, explorateur des Guyanes, de l’Amazone et de l’Orénoque, dont les comptes-rendus de voyage sont passionnants ; le Noir Apatou qui apparaît dans le roman est une évocation du chef boni qui suivit Crevaux jusque Paris.
Pour qui l’Orénoque intéresse, je peux citer les ouvrages suivants parmi ceux que j’ai lus :

En radeau sur l'Orénoque : des Andes aux bouches du grand fleuve, Voyages dans l’Amérique du Sud, contenant notamment À travers la Nouvelle-Grenade et le Venezuela, et Le mendiant de l'Eldorado. De Cayenne aux Andes, de Jules Crevaux
Le Superbe Orénoque, Jules Verne.
Robinson Crusoé, Daniel Defoe (son île est située dans l'embouchure de l’Orénoque).
Le partage des eaux, d’Alejo Carpentier.
Moravagine, de Blaise Cendrars.
Les Mahuzier au Venezuela et dans l'enfer vert du delta de l'Orénoque, Albert Mahuzier.
L'Expédition Orénoque-Amazone, récit du voyage effectué entre 1948 et 1950 par Alain Gheerbrant et ses compagnons.
L'Expédition (Croisière) Eldorado, de Barrancas, au Venezuela, à Buenos Aires, du bassin de l'Orénoque à celui du Paraná en passant par l’Amazone, par son navigateur, Jean-Gérard Mathé.
Légendes indiennes du Venezuela, Raymond Zocchetti.

Enard fait allusion à
« …] une source inexistante, une toile d’araignée de cours d’eau sauvages, de rivières striant les forêts pour rejoindre au hasard les entrelacs amazoniens. Pas de seuil, pas de partage des eaux, aucune frontière à laquelle se raccrocher [… »

et donc au canal de Casiquiare, un défluent qui relie l'Orénoque à l'Amazone via le rio Negro, extraordinaire phénomène de communication interbassins avec renversements de sens du courant, truc qui me fascine (aussi pour l’avoir un peu expérimenté).
Mais Remonter l'Orénoque parle d'autre chose, qu'on peut difficilement commenter sans divulguer le dénouement, d'où mes méandreuses gloses...
Sinon, belle édition d’Actes Sud, c’est agréable à feuilleter, ça change de browser la liseuse…
A propos :
« …] ces livres étant, j’en suis convaincu, le meilleur de moi qui les avait lus à défaut de les avoir écrits, ils ont fait de moi ce que je suis plus sûrement que la mère elle-même, qui me les confiait pourtant déjà. […]
…] je me contentais de lui remettre les mots des autres, par paquets, ceux qui m’étaient les plus chers, ceux, au fond tout aussi intimes, qui la reflétaient pour moi le plus fidèlement. »






mots-clés : #amour #medecine #mort
par Tristram
le Mar 25 Sep - 0:13
 
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Sujet: Mathias Enard
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Larry Brown

Sale boulot

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 Sale-b10

Braiden est là, dans ce lit d’hôpital, sans bras ni jambes depuis la guerre du Viet-Nam il y a 22 ans. Il tient le coup grâce à ses rêveries qui le mènent en compagnie de ses ancêtres africains, ses bavardages avec Jésus, et l'aide complice d'une infirmière noire comme lui, qui le livre en bière et en canabis.
Il voit débarquer un jour Walter, un petit blanc élevé dans la misère, défiguré depuis la même guerre, en proie à de bizarres "crises", qui ne sait pas trop pourquoi il est là, et traîne avec lui une histoire d'amour mi-glauque mi-pure avec une jeune femme dont le corps a été défiguré par des morsures de chien.

Ils vont peu à peu s'apprivoiser, se confier jusqu'à un épilogue où tout s'explique plutôt tragiquement, et qui témoigne de la compassion qu'ils ont partagée.

C'est plutôt aigu dans la critique de la guerre : qu'est ce qui y a mené ces deux jeunes gars qui n'ont vraiment aucune raison de vouloir se battre pour une patrie qui n'a pas été tendre avec eux, et les conséquences dramatiques de cet engagement qui a gâché leur vie au-delà du descriptible. C'est présenté en courts chapitres où ils parlent alternativement, dans un style oral réaliste,  très frustre et inélégant, qui m'a beaucoup gênée.


mots-clés : #guerre #huisclos #mort #solitude
par topocl
le Jeu 9 Aoû - 18:13
 
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Robert Olen Butler

L'appel du fleuve.
traduit par jean-Luc Piningre

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Cela aurait pu s'appeler aussi l'Appel de la guerre. Sur 5 générations, c'est une histoire du genre "Tu seras un homme mon fils!", mais ça ne marche pas.

Robert 70 ans est marié à Darna dans une relation toute de silences, de non dits, de  respect, de partage intellectuel, de courtes phrase qui se suffisent à elles-même. Pendant les quelques jours qui entourent la mort de son père, les vieux démons qu'il a ramenés de la guerre du Vietnam et gardés secrets au fil des décennies l'envahissent. Le grand-père a fait la Grande Guerre, le père a combattu Hitler. Lui a voulu gagner l'amour de son père (bel échec) en s'engageant, alors que son frère a fui au Canada, tranchant définitivement dans l'amour des siens. Ceux qui sont partis ont ramené des secrets terribles que leur femmes ont respectés, les soutenant chacune à sa manière. Un SDF  psychotique traîne par là, son père vétéran du Viet-Nam lui soufflant sa conduite dans son cerveau malade.

C'est donc un thème qu'on a déjà vu et revu, la guerre, le Vietnam, les traumatismes, les secrets, les enfants , les femmes, tout l’entourage qui en souffre.

J'ai assez aimé la façon de faire de Robert (tiens, il s'appelle Robert et je n'ai pas trouvé de biographie qui dise s'il a fait le Viet Nam) Olen Butler. D'abord j'aime bien les enterrements et tout ce qui tourne autour, en littérature du moins : c’est le moment de réunir tout le monde, de catalyser les sentiments, de dire les choses inavouées etc... Et là il s'en sort plutôt bien, c'est puissamment mené, sans débordements, dans cette réserve sentimentale qui semble affecter 'presque) tous les membres de la famille, cachant leur détresse derrière un mot, un geste, un silence.

Robert, cet homme vieillissant qui devient du jour au lendemain l’aîné de cette  famille déchirée, n’est pas la brute qu'ont pu donner les guerres aux générations précédentes; c'est un homme éduqué, intelligent, brillant même , attachant,  qui cache, tout enfoui,  un tout jeune garçon traumatisé et est autant déchiré par le traumatisme que par le secret. J'ai beaucoup aimé ce couple qu'il forme avec sa femme (et d'une façon générale la place des femmes dans ce roman), ce que l'amour est devenu en 50 ans, qui n'a plus besoin des mêmes enthousiasmes et artifices, qui trouve une certaine paix, laquelle peut sembler terne, mais cache en fait une énergie et une tendresse qui n'a même plus besoin de se dire.

Et puis, si au début les réminiscences et autres ramentevances m'ont un peu irritée, comme des flashbacks hollywoodiens, elles  se sont peu à peu mêlées au quotidien, aux espoirs, aux pensées, aux rêves, aux délires, elles ont pris leur place et tout le récit  fonctionne  sur cela, le passé, toujours présent, c'est assez prenant.



mots-clés : #amour #famille #guerre #mort #psychologique #relationenfantparent #vieillesse
par topocl
le Dim 5 Aoû - 11:05
 
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Sujet: Robert Olen Butler
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William Faulkner

Sartoris
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Une imposante  et magnifique maison blanche édifiée par John Sartoris avant la guerre de Sécession,  sur une grande propriété, où vivent désormais, l’un des fils dit le vieux Bayard, miss Jenny  la tante du jeune Bayard petit-fils du vieux Bayard. L’ombre de l’ancêtre plane toujours sur la famille entretenue par le vieux serviteur Simon et le vieil ami Will.

Vivent également sur la propriété les serviteurs noirs, comme souvent les serviteurs de maison le sont de génération en génération. C’est le cas pour le vieux Simon, sa femme, ses enfants. Malgré qu’ils soient bien traités par la famille Sartoris l’on ressent le racisme qui existait dans cette région du Sud des Etats unis d’Amérique .
D’ailleurs le fils de Simon de retour de guerre ayant reçu un autre traitement revient avec l’idée qu’il est l’égal des blancs et qu’il peut donc faire ce qu’il entend, il sera vite remis à sa place.

« Mais quel est donc l’imbécile qui a imaginé de flanquer à des nègres le même uniforme qu’à des blancs ? M. Vardaman voyait plus juste, il avait bien prévenu à cette époque ces crétins de Washington que ça ne donnerait rien de bon. »
« Voyons, mon p’tit, répondit le Dr Peabody, il n’est pas question de laisser Will fourrer de sa drogue sur la verrue de Bayard. C’est très bien pour les nègres et les bestiaux, mais Bayard n’en a pas besoin. »


Bayard revient de la première guerre mondiale alors que son frère John, aviateur comme lui, y a perdu la vie.  Il est vrai qu’aucun des Sartoris depuis l’ancêtre John n’est mort de mort naturelle.

Bayard est affecté par la perte de son frère et sa réaction, comme tous les Sartoris, est de violence, contre lui-même,  contre la vie,  et de fanfaronnade. Il  hypothèque sans cesse sa vie à la faucheuse.
Il dirige aussi sa colère contre son frère John :

« - Sacré cochon de Boche ! dit-il. Aussi bien, il n’a jamais été fichu de voler. Je passais mon temps à l’empêcher de grimper là-haut sur cette sacrée pétoire, - et il s’emporta furieusement contre son frère mort. »
« Je passais mon temps à essayer de l’empêcher de grimper là-haut avec ce Camel. Mais il m’a fichu un gnon. En plein dans le nez. »


Même l’amour de sa jeune femme ne put le sauver : « Et ils restaient étendus aux bras l’un de l’autre, dans l’ombre où s’abolissait un instant son incurable désespérance et la solitude de ce destin dont il ne pouvait s’évader. (cette désespérance m’a ramenée à  celle du Héros de Givre et sang de Powys).

« Bayard étendu sur un lit inconnu, et dont les nerfs engourdis par l’alcool rayonnaient comme des fils de glace à travers ce corps qu’il devait traîner à tout jamais avec lui par un monde sans joie et sans intérêt.
- Merde ! s’écria-t-il, couché sur le dos, regardant par la fenêtre dehors où il n’y avait rien à voir, attendant le sommeil sans savoir s’il viendrait ou non, sans se soucier particulièrement que ce fût l’un ou l’autre. Ne rien savoir, et l’interminable durée de la vie normale d’un homme. Soixante-dix années à traîner par le monde ce corps obstiné, et à duper ses instantes exigences. Trois fois vingt et dix, disait la Bible. A peine plus d’un tiers de fait. Merde ! »


Miss Jenny, dirige la maison et les hommes d’une main de maître, lucide, forte mais tendre aussi, elle ne se fait aucune illusion sur le sort des Sartoris. Depuis le retour de Bayard, elle s’inquiète pour le vieux Bayard qui parcourt avec son petit-fils les routes dans sa voiture à « toute vitesse" :

« Si tu perds tes  après-midi à courir avec lui, ce n’est pas seulement parce que tu crois que ça l’empêchera de faire la culbute avec sa voiture, si tu y vas c’est  parce que tu veux être dedans, toi aussi, quand ça arrivera. Alors crois-tu que tu te soucies plus que lui de ta famille ? »

Le cœur du vieux Bayard est en mauvais état et comme le médecin en averti miss Jenny elle lui répond :
« Avez-vous jamais vu un Sartoris mourir de sa mort naturelle comme n’importe quel autre ? demanda miss Jenny. Vous savez bien que ce cœur-là  n’emportera pas Bayard avant son heure. »

C’est lors d’une sortie en voiture avec son petit-fils que l’heure arriva.

La mort de son grand-père bouleversa Bayard et il ne trouva de remède à sa désespérance que dans la fuite, l’alcool, sans toutefois  jamais perdre sa dignité, sa fanfaronnade ;  la faucheuse réclama le paiement de l’hypothèque.

C’est le même jour que naissait un nouveau Sartoris, son fils.

Narcissa la femme de Bayard prénomma l’enfant de son patronyme : Benbow

Choix qui fit réagir miss Jenny :
« Et vous croyez que cela fera quelque chose ? demanda miss Jenny. Vous figurez-vous que pour changer un seul d’entre-eux il suffit de changer de nom ?

L’avenir seul le dira.

Extraits :
« Miss Jenny déclarait qu’elle avait encore trop à faire pour son salut sans le compromettre en se rendant à l’église à cinquante milles à l’heure, qu’elle avait à son actif autant de péchés que pouvait en comporter son train de vie coutumier, surtout depuis qu’elle avait à charge, par-dessus le marché, de ménager coûte que coûte une entrée au ciel à l’âme du vieux Bayard qui, chaque après-midi, sillonnait à toute vitesse les routes de la contrée en compagnie du jeune Bayard, au risque de se casser le cou. Quant à l’âme du jeune Bayard, miss Jenny était tranquille : il n’en avait pas. »

Un beau passage hommage au mulet : « Quelque Homère des champs de coton devrait chanter un jour la Saga du Mulet, et dire la place qu’il occupe dans les Etats du Sud.

« Narcissa retourna sur sa chaise et  Simon reparut, cette fois processionnellement suivi d’Isom, et, pendant les quelques minutes qui s’écoulèrent, ce fut entre la cuisine et la salle à manger une série d’allées et venues pour apporter un dindon rôti, un jambon fumé, un plat de cailles, un autre d’écureuils, un opossum cuit au four sur un lit de patates douces, une salade de concombres et de betteraves, des patates douces et des pomme de terre d’Irlande, du riz et de la bouillie de maïs, des biscuits secs, de longues et minces flûtes de pain de maïs, des confitures de fraises et de poires, de la gelée de coings et de pommes, de la compote de myrtilles et des pêches conservées.
Alors Simon apporta des tartes de trois espèces, un petit plum-pudding à vous donner le coup de grâce, une merveille de gâteau au whisky, aux noix et aux fruits, traître et fatal comme le péché, dont le parfum vous ravissait au septième ciel, et, pour finir, avec un air mystérieux et pénétré d’importance, une bouteille de porto. »


« Les nègres trinquèrent avec lui, cordialement, bien qu’un peu intimidés. Deux catégories d’êtres inconciliables par le sang, l’atavisme, le milieu, rapprochés un instant et confondus dans le même rêve ; l’humanité oubliant pour un jour ses appétits, sa lâcheté, sa convoitise. »

************

Encore une fois emportée par l’écriture de Faulkner, les sentiments d’une justesse de ton, le réalisme, l’attitude des personnes de couleur, celle des  blancs ; l’ âme et le tempérament des gens du Sud.
Un passage révélateur sur les relations du vieux maître et du vieux serviteur Simon quand celui-ci a « dépensé » l’argent  que sa communauté lui avait confié.

Cette grande famille, ces hommes Sartoris, leur destinée, leur mort dramatique : une part d'héritage ?


mots-clés : #famille #mort #racisme
par Bédoulène
le Mar 10 Juil - 23:36
 
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Sujet: William Faulkner
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Anne Marie Lon

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 Noces-10

Noces tardives

A 84 ans, Edith Tennesen est une vieille dame digne et qui aime la vie.
A 25 ans, elle a délibérément abandonné une carrière universitaire pour se consacrer aux enfants orphelins abandonnés dans un refuge.
Elle s'y est épanouie et n'est partie qu'à regret, "remerciée" avec mépris pour ses bons et loyaux services par une direction préoccupée par la modernité.

Retirée dans sa maison, elle vit selon un rituel bien réglé.
Un jour d'été torride, elle met fin aux habitudes en décidant spontanément d'aller cueillir des fleurs sauvages en forêt.
Pour elle-même mais aussi pour sa  grand-mère maternelle, affectueuse et non conformiste, morte depuis longtemps mais toujours chère à son cœur.

Malheureusement, une mauvaise chute l'immobilise au cours de sa promenade.
Et elle réalise rapidement qu'elle est seule et abandonnée à elle-même.
Au début, elle est sensible à tout ce qui l'entoure, d'autant plus sensible qu'elle est au niveau du sol, des plantes des fleurs et des animaux.

Elle revisite ses souvenirs, essayant de faire un bilan de sa vie passé.
Mais le temps passe et s'étire à n'en plus finir.
Elle est tenaillée par la faim et la soif.
Elle y pallie au mieux avec un régime d'ermite au désert.
Mais les nécessités organiques de son corps lui imposent une souffrance autre que physique.

Couchée au milieu des herbes, elle va passer six jours et six nuits en compagnie des animaux de passage et qui l'observent avec curiosité.
Et aussi d'une myriade d'insectes qui peu à peu prennent possession de son corps.
La pensée d'une mort imminente s'impose à elle.
Et elle essaie de s'habituer à l' idée.

L'attente est interminable pour la vieille dame. Elle finit par le devenir aussi pour le lecteur.
L'auteur n'a pu ou su terminer son livre, oubliant que, parfois, la sobriété et la brièveté sont les façons les plus efficaces de mettre fin à l'attente.
Anne Marie Lon s'est inspirée d'un fait divers. Le pari était beau de le romancer.
Pari à moitié réussi.


mots-clés : #mort #nature #vieillesse
par bix_229
le Mer 6 Juin - 20:21
 
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Sujet: Anne Marie Lon
Réponses: 3
Vues: 851

Philip Roth

Patrimoine Une histoire vraie

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Il appartient à la horde primitive de ces fils qui, comme Freud se plaisait à le présumer, sont enclins à tuer le père - qui le haïssent et le craignent et, après avoir triomphé de lui, l'honorent en le dévorant. Et moi, j'appartiens à la horde incapable de décocher le moindre coup. Nous ne sommes pas ainsi, et nous ne pourrions l'être ni avec nos pères, ni avec personne. Nous sommes les fils que la violence épouvante, qui ne sauraient infliger la moindre souffrance physique, incapables de battre et d'assommer, inaptes à pulvériser fût-ce l'ennemi qui le mériterait le plus, et pourtant, pas nécessairement dénués de pétulance, de caractère, voire de férocité. Nous avons des dents tout comme les cannibales, mais elles sont là, plantées dans nos mâchoires, pour nous aider à mieux articuler. Quand nous ravageons, ou que nous exterminons, ce n'est pas avec des points déchaînés ou des machinations cruelles ou une violence démente et tentaculaire, mais avec nos mots, avec notre cerveau, notre mentalité, tout ce qui a suscité un abîme atroce entre nos  pères et nous, et qu'eux-mêmes se sont échinés à nous procurer. Et nous incitant à être aussi astucieux et bons petits yeshivas buchers, ils ne soupçonnaient guère qu'ils nous donnaient des armes pour les laisser isolés et frappés de stupeur face à notre incessant bavardage.


Dix ans se sont écoulés depuis ma dernière lecture, j'ai changé de génération en quelque sorte, et mon père est mort. j'ai donc lu Patrimoine avec un autre œil , plus touché, certainement.

Touchée par ce portrait d'un père qui quitte la scène, plutôt rustre, un père qui ne maîtrise pas les mots et encore moins la littérature, mais qui maîtrise sacrément bien la vie, contre les vacheries de laquelle il s'est toujours battu avec vigueur,  et il continue à se battre tout aussi hardiment contre les vacheries de la mort, à ce moment crucial où la relation parent-enfant s'inverse, avec une bonne dose de tendresse, de loyauté et d'humour. Et à travers ce portrait, celui d'un fils aimant et résolu, désemparé mais toujours là.

mots-clés : #communautejuive #mort #relationenfantparent #vieillesse
par topocl
le Lun 4 Juin - 10:38
 
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Sujet: Philip Roth
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Isabelle Monnin

Mistral perdu ou les événements

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Isabelle Monnin enfant, adolescente, adulte. Des chapitres.

Vu comme ça, ça fait penser à des récits déjà 100 fois lus sur les années soixante dix, la cour d'école terrorisante, les premiers baisers, les premières boums, le départ pour les études... Et au début j'ai vraiment eu peur de ça. Mais l'approche si touchante d'Isabelle Monnin s'est vite précisée, et c'est devenu un texte personnel arrachant,  avec ses deux versants intime et universel.

Isabelle Monnin décrit la bulle qu'elles ont formée avec sa sœur, et,  scandé par ce "Nous sommes deux" récurrent, qui résume une évidence, il y a   là quelque chose de quasi magique. De très ordinaire aussi, car toutes les enfances se ressemblent. Tout cela se joue sur un fond de Mistral gagnant (et oui, comme Isabelle Monnin, Renaud a sans doute été pour moi tout à la fois l'expression de ma première rébellion , comme de ma première appartenance.), dans cette petite bourgeoisie provinciale de gauche, sûre de ses idées généreuses et de son bonheur, gagné à la génération précédente sur les barricades. Tous les espoirs sont permis et cette sororité en est le carrosse.

Nous sommes deux, nous sommes des enfants et le monde est facile.


Mais assez vite, implicitement, sans qu'un mot soit dit, on sent la fracture qui rôde. On sait que cette jeune sœur rieuse et pas insouciante, un moment, ne sera plus  là.

Et oui, à 26 ans, cette sœur meurt, dans un chapitre d'une brièveté déroutante, car des pourquois et des comments, dans ces cas-là, il n'y en a pas. Il faut vivre avec cela, c'est impossible mais on n'a pas le choix. Plus rien n'est partagé. Et en plus, rien ne vient comme on l'avait prévu : le monde aussi la lâche en route.

Dans l'intime, « notre troisième fils, un grand prématuré, meurt." Dans la sphère publique, la belle conscience de gauche s'effrite, la gauche n'est plus, la haine surprend de tous côtés, empaquette ignominieusement le quotidien,  D'événement en événement, le monde jadis prometteur est en faillite. Le collectif n'est même plus là pour panser les plaies intérieurs. Est-ce la fin de l' histoire ? Même Renaud, vieillli, ventripotent , on n'y croit plus (il n'y croit sans doute plus beaucoup lui non plus). Que faire d'autre dans cette douleur transfixiante, que laisser ses enfants, joyeux, jouer parmi les tombes ?

Quelque part elle explique qu'elle est  une maison, les briques sont les événements familiaux, le ciment les événements publics. Elle s'y sentait bien. Et maintenant, on la voit faire tout ce qu'elle peut pour que la maison ne devienne pas une ruine.

C'est terriblement beau, l'écriture d'Isabelle Monnin est d'une poésie trouble, battante, inventive. Elle empaquette cette histoire tellement intime, tellement commune pour en faire un texte douloureux, fragile, un cuisant constat d'échec commun.



mots-clés : #autobiographie #enfance #fratrie #intimiste #jeunesse #mort #viequotidienne
par topocl
le Sam 26 Mai - 10:52
 
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Sujet: Isabelle Monnin
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Marcus Zusak

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La voleuse de livres

Leur heure venue, bien peu sont ceux qui peuvent échapper à la Mort. Et, parmi eux, plus rares encore, ceux qui réussissent à éveiller Sa curiosité.
Liesel Meminger y est parvenue.
Trois fois cette fillette a croisé la Mort et trois fois la Mort s'est arrêtée.
Est-ce son destin d'orpheline dans l'Allemagne nazie qui lui a valu cet intérêt ? Ou sa force extraordinaire face aux événements ? À moins que ce ne soit son secret... Celui qui l'a aidée à survivre et a même inspiré à la Mort ce joli surnom : la Voleuse de livres...

" Best-seller international, cette fable singulière envoûte par son audace et son originalité. " Questions de femmes

" Ironique et paradoxal, La Voleuse de livres appartient à ce genre hybride d'ouvrages destinés à la fois aux adolescents et aux adultes. " Le Monde des Livres


« L’Allemagne nazie est un lieu merveilleux », pense Liesel après avoir trouvé une pièce et pu avec cela acheter un sucre d’orge. Nous sommes à ce moment dans les prémisses de la seconde guerre dont la petite rue Himmel est jusque-là épargnée si ce n’est par les premières retombées économiques. On perçoit aussi les débuts des troubles qui ont amenée la mère de Liesel à la confier à un couple, ce car elle était communiste, en tous les cas c’est ce que Liesel supposera plus tard.

Peu à peu, avec le regard de l’enfant qui grandit, et de ce qu’elle comprend du monde des adultes, on entre plus avant dans la guerre, et la montée de l’antisémitisme. Petit à petit, le monde merveilleux se transforme au fil des ans, de la guerre qui avance et du regard de Liesel qui murit.

C’est un livre qui se passe en période de guerre, il y en a eu beaucoup, et pour autant celui-ci a l’originalité de livrer le vécu d’une famille peu aisée dans l’Allemagne nazie, et même plus puisque c’est un peu la vie d’un quartier, et de traiter la guerre de leur point de vue, et plus précisément du point de vue d’une enfant que nous suivons de ses 9 à ses 14 ans. Aux côtés de Hans, Rosa, Rudy, et autres, on perçoit l’impact progressif des idéaux hitlériens sur la vie quotidienne, les jeunesses hitlériennes, les antipathies envers les juifs, etc. ON perçoit aussi comment chacun fait avec cela et tente de faire malgré tout ce qui semble juste, comme dans l’accueil que Hans fait à Max en cette période où héberger un juif est synonyme de mort.

L’histoire, c’est la Mort qui la narre, parfois en étant assez présente, parfois pas, à tel point que longtemps et souvent au fil des pages j’en ai oublié que c’est la Mort qui racontait tant cela donnait juste la sensation d’une narration externe. Et parfois, la Mort se rappelle à nous, elle se nomme plus, est plus présente, parle de ce qu’elle voit, vit, en tant que Mort, dans cette période tourmentée qui l’a amenée à un surcroit de travail. Et elle, la Mort, est souvent plus humaine que ces humains qui peuvent être si détestables et si admirables en même temps. Il y a tant de bon que de mauvais en l’homme, et cette singularité fait que les humaines intriguent a Mort et lui font tout en même temps peur.

Dans mon premier bout de commentaire après lecture de la moitié du livre, j’avais souligné mon intérêt en amont de la lecture pour le choix de l’auteur de faire de la Mort le narrateur, et j’avais dit avoir été un peu déçue de trop souvent la confondre avec un narrateur externe peu personnalisé car elle n’apparaissait que peu en tant qu’elle-même, ou en tous les cas j’avais vite fait de l’oublier tant le ton pouvait être celui de n’importe quel narrateur, ce à l’exception de brefs passages. Elle apparaît de plus au plus dans la seconde partie, et pour cause, c’est aussi la partie où la guerre vient vraiment s’inviter dans Molching, après n’avoir été pour les habitants qu’une idée lointaine, qui, certes, venait peu à peu les priver de leurs ressources, leur donnait de l’inquiétude pour leurs enfants partis combattre, mais dont ils ne vivaient pas les affres des bombardements et autre.  Or, peu à peu, la guerre et ses horreurs s’invite dans leur quotidien, les frappant de jour comme de nuit pour les amener à se cacher, leur montrant le visage du traitement des juifs, de comment les aider serait préjudiciable pour chacun

Et la Mort s’invite de plus en plus dans chaque page, plus humaine que bien des hommes et femmes. Fatiguée de son travail, elle livre sur les hommes un regard non dénué d’émotion. Elle livre comment elle est touchée de ce qui se passe, des douches, et de comment elle peut faire preuve de douceur, de compassion, pour emmener les âmes.

Et au plus la Mort s’invite, au plus on sort du monde de l’enfance. C’est comme un parallèle entre Liesel qui grandit et qui perçoit également de plus en plus de choses, elle ne les explique plus avec son âme et son regard d’enfant

Ce livre, je l’ai traversé sans trop être touchée ou émue comme je l’aurai pensé, ce du fait du point de vue adopté qui fait souvent imaginer sans trop dire ou trop montrer, ce aussi certainement car la mort narre comme un constat et rarement avec des émotions, ce aussi car les mauvais côtés sont aussi transformés par le regard d’enfant qui ne voit pas toute la gravité de ce qui se déroule et continue tant que faire se peut de penser un monde plus beau que ce qu’il est.  Et puis il y a aussi les mécanismes de défenses individuels qui font que j’entre dans ce type de lecture en me blindant un peu, autant que faire se peut.

En tous les cas, j’ai apprécié cette lecture commune qui peut (sans que cela soit un jugement négatif) être à mon sens proposée à de jeunes ados pour toucher un peu du doigt la guerre d’une manière moins abrupte que par d’autres œuvres. Celle-ci reste tout de même du côté d’une forme de fable, avec des bons côtés, même si l’on perçoit l’horreur en toile de fond.

Ce que j’ai, je pense, le plus apprécié dans ce roman, ce sont les relations humaines qui se tissent , des relations plus ou moins fortes mais riches de ce qu’elles nous montrent. J’ai aussi été très touchée par tout ce qui peu à peu prend forme entre Max et la famille qui l’accueille, entre Max et Liesel, ainsi que le risque qu’elle prendra, déconnectée qu’elle semble petre de ce qui se passe, ou n’ayant plus envie de penser à ce qu’lele peut perdre, quand elle le voit dans cette « marche des juifs »

Ce qui est dingue c’est que ce livre, si on le creuse, est horrible dans ce qu’il nous montre et nous dit, et pour autant, la vie continue à s’écouler, et les quelques éléments d’horreur s’y diluent. D’une certaine manière, il me fait penser à cette « banalité du mal » qu’évoque Hanna Arendt, et ce même si au milieu de tout cela il y a eu, y aura toujours, des gens formidables qui risqueront beaucoup pour ne pas plier.

Une belle découverte, j’envisage de tenter le film.



mots-clés : #antisémitisme #deuxiemeguerre #mort
par chrysta
le Lun 30 Avr - 18:00
 
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Sujet: Marcus Zusak
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Carlo Cassola

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La Coupe de bois

Quatrième de couverture a écrit:Bûcheron d’une trentaine d’années, Guglielmo vient de perdre sa jeune épouse, mère de ses deux petites filles. Après avoir confié ses enfants à sa sœur, il achète à bon prix le droit de faire une coupe dans la forêt d’une lointaine vallée de montagne. Lui et l’équipe qu’il a recrutée ont devant eux plusieurs mois de labeur, qui les tiendront éloignés de leur foyer durant l’automne et l’hiver.

Pendant ces saisons que lui et ses hommes passeront isolés du reste du monde, Guglielmo va peu à peu découvrir, avec une gravité muette, l’étendue du courage et de la résignation qui lui seront nécessaires pour faire face au deuil qu’il doit porter.

Superbement traduit par Philippe Jaccottet, La Coupe de bois est sans doute l’un des textes les plus marquants de Carlo Cassola (1917-1987).

editions-sillage.fr


Une saison avec Guglielmo entre un bref retour chez lui auprès de sa sœur et de ses filles et son retour après sa coupe plusieurs mois après (coupe du bois et préparation du charbon). Une histoire de deuil au milieu de la vie de cette équipe de bûcheron avec la routine du travail, pour le travail et pour l'oubli temporaire. Une vie rude et simple qui n'efface rien.

A éviter si vous avez envie de vous remonter le moral mais dont on peut goûter la sobriété et les images fortes.

Mots-clés : #mort
par animal
le Dim 29 Avr - 20:37
 
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Sujet: Carlo Cassola
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Gaïto Gazdanov

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Cygnes noirs

Recueil de quatre nouvelles, traduit et introduit par Elena Balzamo, 2015

extrait de la 4ème de couverture : a écrit:Chacune de ces nouvelles est une fenêtre ouverte sur la destinée de Russes que le narrateur a côtoyés, perdus de vue ou retrouvés. Tout l'art de Gazdanov consiste à observer sans a priori ses frères humains, particulièrement les exilés, les déracinés en quête d'identité, pour les fixer d'un trait et en faire des personnages inoubliables. La révolution bolchevique gronde et des cohortes de Russes blancs ont rejoint la France, où leur sort a basculé. Les protagonistes incarnent magnifiquement le tragique, l'absurde et le hasard des destinées. Les souvenirs, les portraits, les intrigues nous sont contés entre rêve et réalité, dans un Paris minutieusement détaillé.



- Cygnes noirs (1930), 20 p : Le narrateur est en prise avec Pavlov qui annonce quasimment avec sang froid son suicide prochain, même calculé sur le jour prêt. Il s’agit d’un Russe exilé qui ne voit pas de sens dans sa vie « perdu » comme ouvrier en usine malgré son haut niveau intellectuel. Certaine forme d’existentialisme ? Il échappe aux catégories habituelles, n’est pas « attaché » à la vie. Ou y-avait-il au moins UNE chose qui l’avait vraiment touché ??? Est-ce qu’un dernier entretien avec le narrateur le revèlera ?

- Compagnon du soir (1939), 35 p : Voilà qu’un exilé russe rencontre sur la place public (à Parisà une personnalité âgée de la vie politique française. Celui-ci est sobre, voir : noir, et ne se fait « plus d’illusions » sur les vivants. Mais n’y-avait-il pas éventuellement une relation forte avec une femme qui l’a soutenu toute au long de sa vie ??? Ou est-ce que même cela était une illusion ?

- Office des morts (1960), 15 p : Cela joue pendant le temps de l’Occupation de la France et voit avec un œil très critique ces Russes qui vivaient comme dans un état de révolte permanente, et inconsciente, contre la réalité européenne occidentale. Comme dans une bulle. Certains même profitent de la guerre en se faisant des intermédiaires entre acheteurs allemands et commerçants français. Mais qu’est-ce qui comptera vraiment ??? La vie, elle, est transitoire. A la mort de Grisha, l’office de mort (orthodoxe) est improvisée et… inoubliable. Accepter la mort

- Les lettres d’Ivanov (1963), 28 p : Nikolai Frantsovitch apparaît comme un homme comme il faut, au dessus de la melée, intouchable, riche. Mais aussi un peu distancié, incompréhensible. Y-a-t-il une faille dans sa vie ? Est-ce qu’il cache quelque chose ???


Donc, ici Gazdanov ne se retrouve pas tellement dans des regards (mélancoliques) en arrière de ses chers compatriotes russes, arrivés en France, mais dans leur destins proprement dit EN FRANCE, après leur fuite après la révolution, la guerre civiele, la fuite, comme exilés. Lieu des actions est pratiquemment toujours Paris.

On retrouve – comme souvent chez Gazdanov – un narrateur informé, en contact avec un tel ou tel qui raconte plutôt l’histoire de cette personne. Gazdanov est capable d’une forme superbe de parler des êtres humains entre immobilité et quête. De décrire des personnes assez saisissantes ! Qu’est-ce qui fait une existence ? Qu’est-ce qui manque (question d’exilé, question humaine par excellence!) ?

Superbe.

Mots-clés : #exil #immigration #mort #nouvelle
par tom léo
le Mer 25 Avr - 8:07
 
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Sujet: Gaïto Gazdanov
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Vergilio Ferreira

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Jusqu'à la fin

Un homme veille le corps de son fils mort dans des circonstances dramatiques, à l'intérieur d'une chapelle proche de la mer. Un dialogue tente de s'installer, au-delà des silences, de la séparation, de l'abrupte frontière de la vie. Mais une incompréhension qui s'enracine dans le passé semble figer définitivement une rupture, une colère, un vide.

L'écriture de Vergilio Ferreira est particulièrement intense, d'une grande force évocatrice, à la fois poétique et brutale, limpide et tranchante. Un périple intime se heurte à une absence, à un aveuglement tant le lien familial dans son essence devient le reflet tourmenté d'une distance, d'un détachement. Jusqu'à la fin laisse alors résonner une forme d'impuissance des mots tout en distillant fébrile, qui enrichit une réflexion incessante, construite autour de questions qui ne peuvent trouver de réponses.


mots-clés : #mort #relationenfantparent #intimiste
par Avadoro
le Lun 16 Avr - 23:08
 
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Sujet: Vergilio Ferreira
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Jorge Semprun

L’écriture ou la vie

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Dans ce récit, Semprun raconte son expérience de la déportation en commençant par la libération ‒ en évoquant les regards de ceux qui n’ont que la mort, « s’en aller par la cheminée » (partir en cette fumée omniprésente, nauséabonde, qui a fait fuir tous les oiseaux), le regard haineux du nazi, le regard horrifié des libérateurs. Jeune étudiant en philosophie, communiste et germanisant, capturé comme résistant, la fonction de Semprun dans l’administration de Buchenwald est d’effacer et d’inscrire les noms sur des fiches.
D’une « rayonnante vitalité » après avoir « traversé la mort », il est revenant de la mémoire de la mort et veut "témoigner", ce qui ne peut passer que par une certaine forme d’artifice, d’art ‒ mais le renvoie immanquablement à la mort : il garde le silence pour oublier, et renoncera à l’écriture pendant des années. Près de vingt ans plus tard, il écrira Le grand voyage, qui ramènera la mort dans son présent, jusqu’à ce que le suicide de Primo Levi, vingt-cinq ans encore plus tard, la ramène devant lui, le poussant à écrire ce livre sur l’angoisse mortifère qui revient toujours.
« …] l’ombre mortelle où s’enracine, quoi que j’y fasse, quelque ruse ou raison que j’y consacre pour m’en détourner, mon désir de vivre. Et mon incapacité permanente à y réussir pleinement. »

« "È un sogno entro un altro sogno, vario nei particolari, unico nella sostanza…"
Un rêve à l'intérieur d'un autre rêve, sans doute. Le rêve de la mort à l'intérieur du rêve de la vie. Ou plutôt : le rêve de la mort, seule réalité d'une vie qui n'est elle-même qu'un rêve. Primo Levi formulait [dans La Trêve] cette angoisse qui nous était commune avec une concision inégalable. Rien n'était vrai que le camp, voilà. »

Tout le propos du livre est là : c’est la difficulté, le combat de l’auteur pour témoigner de Buchenwald dès qu’il en sort, cette approche constituant une forme de ce témoignage d’un « passé peu crédible, positivement inimaginable », « l’horreur et le courage ».
« Il y aura des survivants, certes. Moi, par exemple. Me voici survivant de service, opportunément apparu devant ces trois officiers d'une mission alliée pour leur raconter la fumée du crématoire, la chair brûlée sur l'Ettersberg, les appels sous la neige, les corvées meurtrières, l'épuisement de la vie, l'espoir inépuisable, la sauvagerie de l'animal humain, la grandeur de l'homme, la nudité fraternelle et dévastée du regard des copains.
Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?
Le doute me vient dès ce premier instant.
Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d'une documentation digne de foi, vérifiée. C'est encore au présent, la mort. Ça se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d'Auschwitz.
Il n'y a qu'à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.
Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l'expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d'un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n'a rien d'exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques. »

« Le bonheur de l’écriture, je commençais à le savoir, n’effaçait jamais ce malheur de la mémoire. Bien au contraire : il l’aiguisait, le creusait, le ravivait. Il le rendait insupportable. »

« Tel un cancer lumineux, le récit que je m’arrachais de la mémoire, bribe par bribe, phrase après phrase, dévorait ma vie. Mon goût de vivre, du moins, mon envie de persévérer dans cette joie misérable. J’avais la certitude d’en arriver à un point ultime, où il me faudrait prendre acte de mon échec. Non pas parce que je ne parvenais pas à écrire : parce que je ne parvenais pas à survivre à l’écriture, plutôt. Seul un suicide pourrait signer, mettre fin volontairement à ce travail de deuil inachevé : interminable. Ou alors l’inachèvement même y mettrait fin, arbitrairement, par l’abandon du livre en cours. »

« À Ascona, sous le soleil de l'hiver tessinois, à la fin de ces mois du retour dont j’ai déjà fait un récit plutôt elliptique, j'avais pris la décision d'abandonner le livre que j'essayais en vain d'écrire. En vain ne veut pas dire que je n'y parvenais pas : ça veut dire que je n'y parvenais qu'à un prix exagéré. Au prix de ma propre survie en quelque sorte, l'écriture me ramenant sans cesse dans l'aridité d'une expérience mortifère.
J’avais présumé de mes forces. J’avais pensé que je pourrais revenir dans la vie, oublier dans le quotidien de la vie les années de Buchenwald, n’en plus tenir compte dans mes conversations, mes amitiés, et mener à bien, cependant, le projet d’écriture qui me tenait à cœur. J’avais été assez orgueilleux pour penser que je pourrais gérer cette schizophrénie concertée. Mais il s’avérait qu’écrire, d'une certaine façon, c'était refuser de vivre.
À Ascona, donc, sous le soleil de l'hiver, j'ai décidé de choisir le silence bruissant de la vie contre le langage meurtrier de l'écriture. »

« …] la réalité a souvent besoin d’invention, pour devenir vraie. C'est-à-dire vraisemblable. Pour emporter la conviction, l’émotion du lecteur. »

Le récit est construit en une remémoration chronologique, un fil linéaire avec des dates, mais avec aussi de brefs retours en arrière, l’évocation d’épisodes autobiographiques mettant en situation ses pensées et actes d’alors, et même quelques reprises conjoncturelles, donnant l’impression d’un texte écrit d’une seule traite (en fait en trois parties), clairement, presque sur le ton de la conversation par endroits. A un moment, il évoque le projet d’un livre architecturé sur les musiques de Mozart et Armstrong. A un autre, il entrelace savamment deux fils de récit, d'une part la séance où douze éditeurs d’autant de pays lui remettent chacun son premier roman, Le grand voyage, traduit dans leur langue, et d'autre part ses souvenirs (Prague, Kafka, Milena et son éviction du parti communiste) remémorés simultanément.
La visite à Weimar, avec sa présence goethienne, tout à côté de Buchenwald juste libéré, en compagnie d’un officier états-unien, Juif allemand exilé ‒ « ville de culture et de camp de concentration » ‒, répond à celle qu’il y fait cinquante ans plus tard, cinq ans après la mort de Primo Levi, et qui lui permet d’achever le présent récit.
Quelques leitmotiv (la fumée, la neige d’antan), des images récurrentes (le soldat allemand abattu, les agonisants dans ses bras), donnent un rythme à la narration.
Je me suis souvent ramentu les textes de Kertész, pour plusieurs motifs ; lui et Semprun ont œuvré sur la même tentative de nous faire appréhender les camps nazis.
Anecdotes troublantes qui m’ont incidemment interpellé : le vieux communiste bibliothécaire, qui réclame les livres parce qu’à ses yeux le camp et sa bibliothèque ne vont pas disparaître, mais être réutilisés pour réprimer les nazis (et les bolcheviks vont réutiliser Buchenwald pour cinq ans) ; le jeune kapo russe, trafiquant profiteur, qui n’envisage pas de rentrer en Union soviétique mais de poursuivre son destin opportuniste à l’Ouest, tout en aidant à la réalisation d’un gigantesque portrait de Staline dans la nuit qui suit la libération.
Semprun note que le communisme ajoute « l'accroissement du rôle de l'État, providence ou garde-chiourme ‒ le communisme, donc, aura ajouté la violence froide, éclairée, raisonneuse : totalitaire, en un mot, d’un Esprit-de-Parti persuadé d’agir dans le sens de l’Histoire, comme le Weltgeist hégélien. » (II, 6, page 233 de l’édition Folio, pour qui veut approfondir ce point de vue.)
« Une sorte de malaise un peu dégoûté me saisit aujourd’hui à évoquer ce passé. Les voyages clandestins, l’illusion d’un avenir, l’engagement politique, la vraie fraternité des militants communistes, la fausse monnaie de notre discours idéologique : tout cela, qui fut ma vie, qui aura été aussi l’horizon tragique de ce siècle, tout cela semble aujourd’hui poussiéreux : vétuste et dérisoire. » 

« L’histoire de ce siècle aura donc été marquée à feu et à sang par l’illusion meurtrière de l’aventure communiste, qui aura suscité les sentiments les plus purs, les engagements les plus désintéressés, les élans les plus fraternels, pour aboutir au plus sanglant échec, à l’injustice sociale la plus abjecte et opaque de l’Histoire. »

De très belles pages, comme sa reprise de conscience après une chute d’un train (peut-être une tentative de suicide) ‒ pour se retrouver sur le quai de Buchenwald ‒ lorsque « cette mort ancienne reprenait ses droits imprescriptibles ».

Un des rares ouvrages que je vais conserver pour relecture ultérieure, qui constitue entr’autres une leçon de courage de la part de ce polyglotte portant toute une bibliothèque humaniste dans sa mémoire, et une réponse explicite à la question du pourquoi de la littérature.
« Il [son ancien professeur, Maurice Halbwachs, mourant] ne pouvait plus que m'écouter, et seulement au prix d'un effort inhumain. Ce qui est par ailleurs le propre de l'homme. »

« Il m’a semblé alors, dans le silence qui a suivi le récit du survivant d’Auschwitz, dont l’horreur gluante nous empêchait encore de respirer aisément, qu’une étrange continuité, une cohérence mystérieuse mais rayonnante gouvernait le cours des choses. De nos discussions sur les romans de Malraux et l’essai de Kant, où s’élabore la théorie du Mal radical, das radikal Böse, jusqu’au récit du Juif polonais du Sonderkommando d’Auschwitz – en passant par les conversations dominicales du block 56 du Petit Camp, autour de mon maître Maurice Halbwachs – c’était une même méditation qui s’articulait impérieusement. Une méditation, pour le dire avec les mots qu’André Malraux écrirait seulement trente ans plus tard, sur “la région cruciale de l’âme où le Mal absolu s’oppose à la fraternité”. »



mots-clés : #campsconcentration #devoirdememoire #historique #mort #philosophique
par Tristram
le Lun 16 Avr - 0:07
 
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Sujet: Jorge Semprun
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Yasunari KAWABATA

Ossements

Tag mort sur Des Choses à lire - Page 6 97822510


Après avoir décrit le vieillissement de son grand-père dans Journal de ma seizième année, le jeune Kawabata raconte l'enterrement de l'aïeul. Le récit possède déjà l'effrayante lucidité de l'auteur. Au lieu du souvenir du défunt ; l'encrassement, la vulgarité, la honte, et l'inévitable démolissement de la sépulture, son abandon hâtif. Kawabata signe-là ses débuts en littérature, en quelques pages ; il a fait publier ce texte quelques années plus tard, se rappelant cette tentation de la mise en scène, un événement qu'il avait vécu tout à fait égoïstement.

mots-clés : #autobiographie #mort
par Dreep
le Sam 31 Mar - 12:18
 
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Sujet: Yasunari KAWABATA
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Horacio Quiroga

Contes d'amour de folie et de mort

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Epuisant. J'ai la sensation d'être passé par une succession d'états fiévreux et hallucinatoires; d'avoir longtemps erré par une forêt obscure et sauvage qui entendait me garder captif; ou plutôt de sortir, grelottant, d'une tourbière dans laquelle je m'étais englué.
Quelqu'un a-t-il un rhume, une écharde dans le doigt ? Ce n'est pas bon. Chez Quiroga, c'est même une condamnation à mort.
Le drame vient d'un non-dit qui corrompt, d'un trouble constitutif de l'écriture même, une frustration qui étouffe les personnages comme de l'intérieur : une fièvre qui couve lentement, infecte, et détruit sans que rien ne puisse être expliqué ni ne soit résolu.
Les hommes sont animalisés, et la compassion à leur égard est presque interdite. @Armor, tu trouves que les caractères manquent de complexité. Peut-être ! c'est une monstruosité nue qui est révélée, un dépouillement des qualités d'être humain, les personnages paraissent souvent des valeurs immuables qui participent à ce tableau de cauchemar.

Le recueil est d'une profonde unité, duquel les divers arcs se rejoignent et s'agrègent en un espace compact. Ambiguïté, hallucination, dégénération, stérilité; un peu d'espoir (bien peu).
C'est une grande écriture, sobre, essentielle. Celle de Goethe me fait penser à une sève irriguante, celle de Quiroga à un fruit décomposé. Tantôt on pressent des parentés avec Sabato, tantôt les contours de Kafka se dessinent; parfois, au-delà de la sécheresse, se modulent des accents d'un romantisme sombre (quoique sans délit de lyrisme exacerbé).

Il faut plutôt être en forme, mais je le trouve incontournable.


mots-clés : #fantastique #mort #nature #nouvelle
par Quasimodo
le Lun 26 Mar - 21:36
 
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Sujet: Horacio Quiroga
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Emmanuel Carrère

D’autres vies que la mienne

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2009

Prix Cresus, Prix Marie Claire du roman d’émotion, Globe de cristal 2010, Prix des Lecteurs de L’Express

CONTENU :
Editions P.O.L. a écrit:À quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari.
Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ?
C’était une commande, je l’ai acceptée. C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne (Isère).
Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour. Tout y est vrai.
E. C.


REMARQUES :
Ce premier événement se rapporte à la catastrophe du Tsunami, vécue en 2004 ensemble avec une autre famille (et beaucoup de ceux touchés, justement encore „d‘autres vies“) au sud du Sri Lanka. A peine quelques mois après la soeur de sa compagne meurt et laisse son mari et ses enfants. Elle avait été atteinte d‘un cancer, elle la juge.

Et justement Carrère parle de ces „autres vies“, mais comment ne pas se laisser atteindre lui-même dans sa chair, dans ses interrogations? Dans ce sens-là: pas juste une chronique neutre et distante, ou un roman fictif, mais un récit authentique, un va-et-viens entre déscriptions et sentiment, réaction, attitude.

Perte d‘êtres chers (une fille, une épouse et mère) – donc un sujet gravissime. Mais ces personnages, et tous autour, sont peints dans une telle humanité et dignité qu‘ils ne provoquent pas juste de tristesse, mais un sentiment de respect en moi.

Peut-être la description du coté professionnel des deux juges décrits est un peu trop étirée, trop technique dans certains détails. Mais au même moment elles aident à nous rapprocher d‘êtres concrets, aussi dans leur vie professionnelle.

Carrère donc, au milieu de ces récits d‘autres vies, est protagoniste, comme si souvent dans ces œuvres. Il est témoin, proche. Et il parle – ce qui le rend sympathique – d‘un processus d‘apprentissage. Alors ce qui pourrait un peu désorienter au début (mais pourquoi tant parler de lui-même s‘il veut parler des autres?) devient une forme de grande honnêteté et ouverture: ne pas se cacher derrière des formulations toutes faites, mais parler de ses sentiments, expériences contradictoires. Et de sa fragilité qui, chez Carrère, lui est inscrit dans le visage.

Et alors dans le contact avec „ces autres vies“, c‘est aussi la sienne qui se met en marche. C‘est quand même bizarre, ou étonnant, ou surprenant que la mort d‘autres, plus ou moins proches de lui, mènera sa vie peut-être pour la première fois vers une volonté de constance et fidélité dans ses propres relations qui au début du livre semblaient déjà tellement compromises.

mots-clés : #biographie #catastrophenaturelle #mort
par tom léo
le Dim 4 Mar - 16:05
 
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Sujet: Emmanuel Carrère
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Karl-Heinz Ott

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Que s'ouvre l'horizon


Originale : Ins Offene (Deutsch, 1998)
Traduction : Françoise Kenk, 2010

CONTENU :
Présentation de l'éditeur a écrit:Le diagnostic des médecins est formel : la mère va mourir. dans quelques semaines tout au plus. Son fils unique se doit de revenir au pays natal afin de l'accompagner dans ses derniers instants. L'homme n'y était pas retourné depuis plusieurs décennies. Il avait fui l'univers clos et asséché d'un village souabe dont le catholicisme à la poigne de fer et la morale étroite avaient depuis longtemps condamné sa mère célibataire, tout comme lui, l'enfant naturel. Au chevet de celle-ci, le voilà confronté à sa mémoire, de même qu'à une femme qui fut à la fois le pivot de sa vie et son ennemie dévorante. Se libère-t-on jamais de ses origines, de son ascendance ? Est-il possible d'embrasser d'autres horizons ? Dans un roman tendu et poétique, Karl-Heinz Ott aborde ces questions avec une sincérité et une finesse qui forcent l'admiration. On comprend que le livre ait été couronné en Allemagne par le prestigieux prix Hölderlin.



REMARQUES :
Voici que je viens vous présenter – en interrompant le fil chronologique de la publication – le premier livre de l'auteur qui fut traduit voici 8 ans en français.

Au début du roman le narrateur reçoit la nouvelle d'un danger de vie imminent chez sa mère. Donc, il se met en route vers son pays natal et l'hôpital, et tout ce qui suit est une dialogue avec le passé et le présent, sous le regard de l'éphémère, de la mort imminente. Non, on trouvera pas juste des souvenirs en rose d'un passé maquillé, et aussi pas juste une compassion très imposante avec la mère mourante, mais d'abord même un aveu de haine, de désir de mort. Ainsi les souvenirs sont marqués par les anciennes rivalités et désir de mort ET, de l'autre coté pour ainsi dire, le repentir anticipé si ils vont se séparer dans ces termes là, et si le fils ratera la dernière chance d'une réconciliation possible avec sa mère et – peut-être encore plus ? - tout le passé qui allait avec ?! Dans ce sens-là on se trouve dans ce livre plus ou moins directement face à la mort, de la mère, et de la sienne, et des questions ultimes.

Dans mon édition allemande le livre était sous-divisé en des paragraphes d'une demie jusqu'à deux pages, séparés par une ligne vide. Il y a une certaine forme de chronologie dans la narration : de la réception de la nouvelle de l'état de la mère  jusqu'à… Mais elle est aussi si bien entourée par une langue parfaitement maîtrisée, des retours en arrière, et des transitions et sauts dans le temps qui ne sont pas facilement perceptibles.

La langue est – au moins pour moi – merveilleux et impressionnant, autant plus qu'il s'agit alors du premier roman d'Ott, même s'il avait déjà auparavant amassé des expériences en tant que dramaturge et ayant dépassé les 40 ans. On trouve souvent des énumérations, des séries de mots, éventuellement pour certains trop ? Il y a presque pas de dialogue directe, mais des fois un rapport en citant dans le conjonctif et langue indirecte.

Plus impressionnant encore je trouve ces bonnes observations sur le conflit intérieur face à la mort (le « mourir ») d'une personne proche : on vacille entre des possibilités ratées, des souvenirs de conflits, mais aussi le pressentiment qu'on va jamais réussir à fixer l'autre tel qu'il est à travers notre regard en fin de compte assez limité. Sur ce sujet l'auteur livre quelques très belles réflexions à la fin du livre.

Ce narrateur était alors enfant naturel. Le père avait déjà demandé lors d'une première grossesse de la mère « de se débarasser de l'enfant », mais pour le deuxième enfant, elle refusera, et alors c'est la rupture avec cet amant déjà marié avec enfant. Mais avoir un enfant hors mariage dans la très catholique Souabie est chose dure : constamment on reste marqué par le sentiment d'avoir commis un mal irréparable. Voilà une expérience fondamentale face à une réligion doloriste et parlant tout le temps du péché. Ce contexte, l'auteur va en parler à plusieurs reprises : certes il y a la superstition dans l'air, et ce moralisme inacceptable. Ensemble avec les expériences de sa mère, le refus à l'intérieur de la propre grande famille maternelle, le contexte de village, on peut comprendre que le passé, la « patrie », le « chez soi » soient souvent vécus comme quelque chose de limitant, d'étroit, de petit, de coupant la faim pour la vie. Pourtant – et une analyse trop rapide ne tient pas compte de cet imbroglio humain – ce même contexte peut créer une forme étrange d'attachement. Ainsi on trouvera d'un coup des remarques presque nostalgique sur la perte d'identité du village qui est devenu avec les années un pur dortoir pour les gens de la ville et qui a perdu ses magasins etc... Ainsi il y a un mélange étrange entre étroitesse et largeur, chez soi et sentiment de perte, revolte et consentement.

On discerne bien un hommage à « L'étranger » d'Albert Camus. Les idées mentionnés sur le « chez soi » sont splendide, comme aussi la reconnaissance sur la fragmentation de tous nos souvenirs. Après un début accusatoire la fin sonne plus en recherche de paix...

Impressionnant, cet Ott ! Découvrez-le !

mots-clés : #famille #mort
par tom léo
le Ven 23 Fév - 22:22
 
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Sujet: Karl-Heinz Ott
Réponses: 16
Vues: 1116

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