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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 9 Mai - 13:57

101 résultats trouvés pour xixesiecle

Nicolas Chaudun

L’Eté en enfer
Napoléon III dans la débâcle


Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 L_etzo10

Sedan, c’était il y a cent cinquante ans
L’été s’annonce sous les meilleurs auspices. En apparence l’Empire ne s’est jamais mieux porté après ce dernier referendum qui a répondu « oui » au régime à une grande majorité. Certes, l’Empereur est un homme diminué, malade, souffrant terriblement d’un calcul dans la vessie, soigné à fortes doses d’opiacés qui l’abrutissent la plupart du temps. Dans sa résidence préférée, le château de Malmaison, en plein été, couvert de châles, il se chauffe à la cheminée en grelottant. Conscient de son état, Napoléon, en accord avec son épouse Eugénie, a décidé d’abdiquer en 1874, à la majorité du Prince Impérial. Mais tiendra-t-il jusque-là ?  L’incapacité de l’empereur à diriger vraiment les affaires font que le gouvernement et la cour sont l’enjeu de différentes coteries. Le souverain en est bien conscient :

« Comment voulez-vous que les choses marchent dans ce pays ? L’Impératrice est légitimiste ; Morny est orléaniste ; moi-même je suis républicain ; il n’y a qu’un seul bonapartiste, c’est Persigny, mais il est fou ».


Et puis vient au milieu de l’été cette histoire d’opérette : la prétention d’un Hohenzollern à la couronne d’Espagne. La France obtient un beau succès diplomatique avec le retrait de la candidature. Pourquoi alors s’entêter et exiger de Guillaume II un engagement écrit ? Belle occasion pour Bismarck de tendre son piège afin d’unifier l’Allemagne face au grand rival !
Et tout à coup, nous sommes en guerre ! Le ministre a beau prétendre qu’il ne manque pas un bouton de guêtre, on manque de tout, l’armée est dans une désorganisation totale.
Commence alors ce navrant trajet vers Metz d’une armée traînant un souverain malade, la « soupière » ou « le boulet d’or » comme on le surnomme irrespectueusement. Sa présence agace ; incapable de commander, il encombre.
Viennent les premières défaites, l’enfermement de Bazaine dans Metz, le repli sur Chalons en Champagne, les hésitations entre un retour sur Paris ou une montée vers le nord, solution finalement adoptée.
La pluie se met de la partie, la boue, les arrêts fréquents pour soulager un empereur qui défaille. Rien ne nous est épargné des détails triviaux : les serviettes éponge mises dans la culotte du souverain qui pisse le sang lorsqu’il monte à cheval, la dysenterie…
Et les nouvelles sont de moins en moins bonnes. Finalement, l’armée impériale se fait enfermer à Sedan où elle livre son ultime combat. C’est une catastrophe, une défaite écrasante malgré la bravoure de certains régiments. L’empereur, après avoir parcouru le champ de bataille en y cherchant la mort qui se refuse, prend alors une vraie et sage décision : hisser le drapeau blanc, quand tout est perdu, pour arrêter l’hémorragie de sang.
Rien ne lui sera épargné de l’humiliation devant Bismarck et Moltke.
Plus durablement, sa mémoire, son règne sont voués aux gémonies. Tout n’a pas été noir pourtant pendant cette période. La dernière tentative d’empire libéral était intéressante et aurait peut-être pu mener à la démocratie ? Peut-être ? Mais, « Malheur aux vaincus » !



/Mots-clés : #guerre #historique #xixesiecle
par ArenSor
le Jeu 18 Mar - 21:39
 
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Sujet: Nicolas Chaudun
Réponses: 5
Vues: 1460

Charles Dickens

Cantique de Noël

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Cantiq10

Voici, dans un conte de cinq « couplets », Ebenezer Scrooge (quels noms de personnages, comme celui de son commis, Bob Cratchit !), un homme d’affaires âpre au gain ayant survécu à son associé, Jacob Marley, dont le spectre lui apparaît un soir de Noël typiquement londonien.
« Scrooge reprit le chemin de son lit et se mit à penser, à repenser, à penser encore à tout cela, toujours et toujours et toujours, sans rien y comprendre. Plus il pensait, plus il était embarrassé ; et plus il s’efforçait de ne pas penser, plus il pensait. Le spectre de Marley le troublait excessivement. Chaque fois qu’après un mûr examen il décidait, au-dedans de lui-même, que tout cela était un songe, son esprit, comme un ressort qui cesse d’être comprimé, retournait en hâte à sa première position et lui présentait le même problème à résoudre : "était-ce ou n’était-ce pas un songe ?" »

Odieux avare endurci, trois esprits successifs (passé, présent et avenir) l’amènent à repentance au spectacle de la misère humaine qui fête malgré tout gaiement Noël en compagnie. L’acariâtre nanti découvre l’amour et la bonne humeur familiale. Après cette leçon nocturne, il rit et répand le bonheur.
C’est pathétique (la mort du petit Tiny Tim, les bons sentiments), d’une époque où cela était encore possible en littérature – encore neuf.
Dickens excelle tant dans la forme brève que dans ses longs feuilletons, et son œuvre appartient au fond commun des lettres. L'histoire fameuse de Scrooge fait partie de ses créations devenues légendaires outre-manche. J’ai moi-même l’impression de l’avoir déjà lu – ce qui n’est pas impossible…

\Mots-clés : #contemythe #fantastique #misere #social #xixesiecle
par Tristram
le Mer 3 Mar - 0:02
 
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Sujet: Charles Dickens
Réponses: 11
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Yamina Benahmed Daho

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 41vqfp10


A la machine

Après avoir été « A la ligne » j’ai décidé de continuer « A la machine » à coudre ! Activité que je connais, mais dans ce livre l’auteure nous conte l’histoire de l’inventeur de la machine à coudre, un tailleur français – Barthélemy  Thimonnier -  qui voulait alléger le travail de sa femme et des autres, qu’il voyait coudre manuellement. Pousser et tirer l’aiguille au travers d’un ouvrage de couture ou de broderie.

« Barthélemy et Madeleine, avant d’être un couple amoureux, sont des Homo sapiens, descendants des chasseurs-cueilleurs. Quand Madeleine brode, elle exécute un geste manuel qui s’est transmis des milliers d’années durant pour faire vivre et survivre des groupes humains dans toutes les régions du monde. Parce qu’il est demeuré intact depuis son origine au paléolithique supérieur, le geste de la main-outil puissante et créatrice peut être converti en un geste mécanique, rapide, pratique au début du XIXe siècle dans l’esprit du tailleur. Barthélemy regardant Madeleine regarde en fait la main de l’homme créant l’aiguille à chas il y a plus de dix mille ans. »

Cet aimable et trop confiant tailleur après avoir durant des années fabriquer son « métier »,  se fit rouler par un premier financeur, puis un autre pour une machine plus élaborée, le brevet n’étant pas à son nom seul et l’exploitation étant au nom d’un autre ;  par association, transmission, diverses manœuvres administratives, sans que Barthélemy ne soit mis au courant, en a perdu le droit. Sa famille vécu donc la plupart du temps dans la pauvreté.

«La dure loi du plus riche et la règle de la hiérarchie sociale font rapidement passe Barthélemy du statut d’inventeur du métier à coudre à celui de co-inventeur et mécanicien. »

A travers la révolte des tailleurs et des cordonniers, qui se voient évincés des commandes de l’armée au profit de l’atelier des « métiers » à coudre,  l’auteur pose le problème de  l’industrialisation. Il dénoncera aussi la mondialisation quand la société « Singer » étendra son emprise dans le monde. En effet Singer s’adressera directement aux femmes et proposera des achats à crédit ce qui contribuera également à leur appauvrissement.

La femme d’un homme qui travaille à l’atelier des machines pendant le procès suite aux destructions des machines par les tailleurs et cordonniers :

« Plus personne voulait de lui sur les chantiers. Alors quand ils ont proposé de travailler sur les mécaniques, même pour peu cher, sur des machines qui demandent d’avoir deux mains et un pied, exactement ce qu’il lui reste à mon mari, vous pensez bien qu’on a accepté. »

Un enfant est  né au foyer des Thimonnier, il s’appelle Etienne et son évolution se fera comme celle du métier sur lequel son père travaillera pendant des années.

A Lyon les canuts, exploités, mal payés, se mettent en grève.

« Sur la table en noyer les verres sont vides. Dans le creux des assiettes restent des stries apparues quand le canut en a essuyé le fond avec la mie de pain rassie. Des traces qui disent la faim jamais comblée. »

« Barthélemy, sur sa ligne, tremble. Il voudrait être l’inventeur qui, grâce à sa mécanique, allège la dureté du travail. Il est en réalité celui qui fournit à l’industrie le moyen d’imposer des salaires honteusement bas."

Etienne, le fils partira à la guerre en Crimée, remplacer pour un peu d’argent, le fils d’un bourgeois.

A Paris Barthélemy est renvoyé de l’atelier de fabrication étant dans l’impossibilité d’atteindre le nombre réclamé par les patrons  (dans le train qui le ramène chez lui il pense inventer une machine à coudre simple à fabriquer et à utiliser et dont il ferait cadeau à Etienne à son retour)

Les patrons ont cru qu’ils obtiendraient le consentement facile des ouvriers.

« Comment ont-ils pu y croire ? »

Comment ont-ils pu penser que grâce à la vitrine, notamment  domestique,  les ouvriers viendraient à l’exposition universelle de Paris ?

Alors que pour survivre les ouvriers, tailleurs, cordonniers doivent travailler aussi dans les usines, les intérêts des différentes corporations se rejoignent.

« Ils se réapproprient leur corps servile, se découvrent d’autres forces que celle du travail régi par des règles déloyales et abusives
Il leur devient possible
De définir leur identité ouvrière,
de nommer le monde,
de penser construire, chanter une autre société
[…] En ces lieux, ensemble, ils jurent de bâtir de leurs mains calleuses et jaunies ce monde là ! »


C’est connu, l’union fait la force !

Barthélemy, le malchanceux, n’a pu à cause d’un intervenant, présenté sa machine dans les délais impartis mais il a tout de même une satisfaction :

« Mais joie pour Barthélemy quand le jury atteste solennellement que le métier à coudre à point de chainette est l’œuvre qui a servi de type à toutes les machines à coudre modernes, dont celle de Magnin, dont celle de Singer. Le 15 novembre 1855, il est donc officiellement établi que Barthélemy est l’inventeur de la machine à coudre. Il n’est pas là pour l’entendre mais c’est écrit, imprimé, publié. »

Des signes de reconnaissance figurent à présent dans plusieurs villes françaises, des plaques, des rues en l’honneur de Barthélemy Thimonnier.

« Que la maison d’un artisan-inventeur errant, malchanceux et misérable soit devenue un abri temporaire qui protège d’une société du travail impitoyable, c’est une histoire qu’aucune fable ne peut dépasser.



C'était une lecture très intéressante même si vous n'avait jamais utilisé une machine à coudre ! Wink

Bien étoffée qui met en pointe le travail, quel qu'il soit, dénonce l'industrialisation au profit du  capitalisme, la mondialisation et honore la création.

Je pense que cette lecture pourrait plaire à Animal, notamment.


Mots-clés : #biographie #mondedutravail #mondialisation #social #xixesiecle
par Bédoulène
le Sam 20 Fév - 14:34
 
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Sujet: Yamina Benahmed Daho
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Henry David Thoreau

bix_229 a écrit: - À quoi bon avoir une maison si l'on n'a pas de planète acceptable où la mettre  ?

La descendance de Thoreau est immense, combien d'écologistes, de survivalistes, de néosurvivalistes...?

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Les pommes sauvages

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Thorea11
Mai 1862. Titre original: Wild apples.

Ouvrage composé quelques semaines avant son décès, première publication, posthume, par The Atlantic Monthly en novembre 1862. Soixante pages environ.

Pas de quoi affoler le fil Thoreau avec ce petit ouvrage, proche de la plaquette, pas exactement une nouvelle.
Mais il exhale son humilité terrienne et fleure si bon le libre wild !

Il se découpe en huit chapitres, brefs et ainsi intitulés::
L'histoire du pommier, la pomme sauvage, le pommier odorant, comment pousse la pomme sauvage, le fruit et sa saveur, leur beauté, les noms qu'on leur donne, le dernier glanage.

On entre dans le propos par de savantes considérations, teintées d'objectivisme et de références antiques. Cela s'arrête juste à temps, à mon goût du moins, pour éviter le roboratif.
Le lecteur, que l'on peut pousser à prendre la peine de continuer jusque là, tombe alors sur une joyeuse ode très dans la veine de l'auteur, avec sublimation du sauvage littéralement intact, par rapport au domestiqué, ou créé, ou contraint par l'homme, qui a moins de saveur et de valeur (valeur s'entendant dans un sens gustatif et spirituel), aspects bien connus de la philosophie de Thoreau.

Un bol d'air (ou une bouchée de pomme) bien rafraîchissant(e).

N'hésitez pas à y jeter un œil si vous croisez ce petit livre (la version dont je dispose, parue chez Finitude -voir photo-, est, de surcroît, très abondamment annotée).

chapitre le fruit et sa saveur a écrit:Ceux qui travaillent au grand air n'ont pas froid. Grelotter est le lot de qui reste assis dans sa maison. Telles les températures, telles les saveurs. Tels le chaud et le froid, tels le doux et l'acide. Les acides et les amers, que le palais débile repousse, sont les véritables condiments de cette vivacité naturelle.
Que les condiments soient à la mesure de vos sens. Apprécier le bouquet de ces pommes sauvages requiert des sens vigoureux et en pleine santé; et, sur la langue et le palais, des papilles fermes et droites qui ne soient pas facilement flattées et domptées.
De mon expérience des pommes non domestiquées, je retire que l'homme sauvage a probablement des raisons de préférer certaines catégories de nourriture que l'homme civilisé rejette. Le premier a le palais d'un homme de plein air. Il faut le goût d'un homme des bois pour apprécier un fruit sauvage.
En vérité, il faut un appétit "hors les murs" pour savourer la pomme de la vie, la pomme du monde !  


Marcotté d'un message sur Parfum du 7 février 2014


Mots-clés : #ecologie #nature #xixesiecle
par Aventin
le Sam 20 Fév - 6:32
 
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Sujet: Henry David Thoreau
Réponses: 24
Vues: 3324

Mary Shelley

Mary Shelley
(1797-1851)

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Marysh10


Fille du rationaliste William Godwin et de la féministe Mary Wollstonecraft, elle est enlevée à 17 ans par Shelley, dont elle partagera l'exil et qu'elle épousera en 1818. Presque par hasard, à la faveur d'un jeu littéraire en compagnie de Byron et de Shelley, cette jeune fille devient l'auteur d'un roman philosophique et de terreur, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), alliance du fantastique et du scientifique qui permet un traitement original du thème du monstre, incarnation de l'orgueil et de la folie de son créateur. Cette double condamnation de la démesure du savant (qui veut rivaliser avec Dieu) et d'une image composite de la personne humaine (le monstre n'est pas né d'un couple, mais de débris de cadavres) est aussi une critique acerbe d'une société nourrie de rousseauisme et qui se fonde sur les apparences : le « monstre », bon à sa naissance, devient criminel dès lors qu'il est rejeté de tous. Sa révolte contre son créateur, qu'il finit par tuer, trahit l'angoisse existentielle de l'homme sans Dieu, dans un univers où seul le mal assure la puissance. L'œuvre de Mary Shelley, plus connue que le nom de sa créatrice, connaîtra une immense postérité. Les adaptations cinématographiques (Frankenstein, 1931, et la Fiancée de Frankenstein, 1935, réalisés par James Whale, qui a donné au monstre son « visage »), comme les innombrables suites, adaptations, font de cette figure l'un des rares mythes modernes. Mary Shelley écrit également des nouvelles, des récits de voyages (Histoire d'un voyage de six semaines, 1817), des romans (le Dernier Homme, 1826 ; Perkin Warbeck, 1830) et publie après la mort de Shelley ses Poèmes posthumes (1824), ses Œuvres poétiques (1839) ainsi que ses œuvres en prose (1840). Son Journal comme sa correspondance apportent des renseignements précieux sur le poète.

larousse.fr

Plus : wikipedia.org



Bibliographie des ouvrages traduits en français : (wikipedia)

Romans
- Frankenstein ou le Prométhée moderne, 1818
- Mathilda, 1819
- Valperga, ou La Vie et les aventures de Castruccio, prince de Lucques, 1823
- Le Dernier Homme, 1826

Récits de voyages
- Histoire d’une randonnée de six semaines à travers une partie de la France, de l'Allemagne et de la Hollande, avec des lettres décrivant un tour sur le lac de Genève et des glaciers de Chamonix, 1817
- Errances en Allemagne et en Italie en 1840, 1842 et 1843, 1844

Histoire pour enfants
- Maurice ou le cabanon du pêcheur, 1820

Poèmes dramatiques
- Proserpine et Midas, 1820

Nouvelles
- Une histoire de passions, 1822
- L'Endeuillée, 1829
- Le Rêve (The Dream, A Tale), 1831
- Transformation, 1831
- La Jeune Fille invisible, 1832
- L'Immortel Mortel (The Mortal Immortal: A Tale), 1833

Édition
- Poèmes posthumes de Percy Bysshe Shelley, 1824
- Œuvres poétiques de Percy Bysshe Shelley, 1839

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Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 S-l64010

Le dernier homme

On pense inutile de présenter la créatrice de Frankenstein, et pourtant l'admirable livre : LE DERNIER HOMME, qu'elle a écrit aux alentours de 1826, nous fait approcher cette femme de lettres dans son intimité d'épouse et de mère meurtrie par les deuils successifs qui l'ont terrassée.

On a dit que c'était un livre autobiographique. Et de l'anticipation. Certes.

Mais ô combien plus !

Je ne m'étendrai pas sur l'intrigue futuriste : l'action se déroule entre 2073 et 2100. La monarchie britannique est détrônée et surtout, la peste ravage l'Europe. La peste est vraiment un des personnages principaux. Le symbole de notre fragile condition.

Le narrateur, Lionel, est un proche de la famille royale déchue et nous conte la course contre la montre à travers l'Angleterre, puis la France pour fuir la maladie meurtrière.

La plume romantique - au sens littéraire du terme - transporte le lecteur dans un avenir brumeux, sombre où les sentiments humains sont exaltés et paroxystiques. Plusieurs histoires d'amour se croisent. Elles sont puissantes et fusionnelles. C'est écrit avec une force émotionnelle !

Malheureusement, les divers protagonistes sont amenés à mourir un à un. Lionel restera le seul et dernier homme.

C'est l'occasion pour MS d'écrire de somptueuses pages sur la mort, oui, j'ai bien dit la mort. J'ai rarement ressenti un lyrisme pareil sur ce qui est horrible : la séparation, le vide, le néant.

Faire de l'art avec la morbidesse ! Et elle brille, Mary, par ses envolées tellement authentiques, tellement personnelles. Elle fait jaillir une matière langagière lumineuse avec la noirceur du trépas.

Seule avec ses mots, face à l'éternité. C'est glaçant et pourtant sublime.

En filigrane, elle déroule ses tragédies. La mort de Percy, le poète, son amour. De ses enfants. Souffrance insondable. De ses amis, Byron ou Polidori. Tous ces talents, qui formèrent une sorte de "club" autour d'elle.

Pourquoi lire LE DERNIER HOMME ?

Parce que l'écriture est souveraine. Parce que c'est de la vraie littérature, une oeuvre rare, atypique, qui se conquiert.

Une expérience métaphysique.


sunny


Mots-clés : #sciencefiction #xixesiecle
par Tatie
le Ven 19 Fév - 19:18
 
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Sujet: Mary Shelley
Réponses: 3
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John Steinbeck

En un combat douteux

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 En_un_10

Pour donner un sens à son existence misérable et sans espoir, Jim rejoint le parti communiste où il est formé dans la clandestinité par Mac ; ils vont accompagner la révolte des saisonniers dans les vergers, en suscitant et organisant la grève.
C’est un peu un mode d’emploi de l’activisme. Au-delà d’une psychologie sommaire mais efficace de la "masse", il s’agit de manipulation, d’exploiter la colère ; Mac s’active à instaurer une discipline, se sert de tout ce qu’il trouve pour approcher le but, rêve de sacrifier quelques personnes pour déclencher la révolution finale.
« ‒ Écoute, voici comment il faut manœuvrer. Si tu veux qu’ils votent une chose, tu dis : "Voulez-vous faire ceci ? " et si tu veux repousser une autre chose, dis : "Vous ne voulez pas faire ceci, n’est-ce pas ?" Et ils voteront non. »

« Supposons qu’ils tuent des hommes. Ce serait avantageux pour la cause. À chaque victime correspondraient dix recrues. »

« ‒ Il n’y a rien à faire, dit Mac durement. Il a été marqué pour le sacrifice. Il faut des victimes, des hommes qui chargent au premier rang pour faire la trouée qui permettra aux autres de sortir de l’abattoir. Nous ne pouvons nous attendrir sur les blessures d’un seul homme, Doc.
‒ Je ne pensais pas aux mobiles, ni aux résultats : je plaignais seulement le pauvre homme. Il a perdu l’estime de soi. C’est une épreuve terrible, Mac.
‒ Je n’ai pas le temps de penser aux sentiments d’un seul homme, dit Mac, sèchement. J’ai trop à faire à m’occuper des foules. »

Le roman revient beaucoup sur la notion de "foule", imprévisible, dangereuse. La démonstration est nuancée par d’autres points de vue, comme Dan, le vieux bûcheron solitaire pour qui le travail a une valeur en soi, ou le docteur Burton, qui veut se faire sa propre opinion.
« Je veux surveiller ces hommes groupés ; ils m’apparaissent comme formant un seul individu nouveau, pas du tout comme des individus réunis. Un homme, dans un groupe, n’est pas lui-même : il est l’une des cellules d’un organisme aussi différent de lui que les cellules de votre corps sont différentes de vous. Je veux voir vivre ce groupe, l’étudier. On a dit : "Les foules sont folles, on ne peut savoir ce qu’elles vont faire." Pourquoi considère-t-on les foules comme des hommes, et non comme des foules ? Presque toujours, une foule agit raisonnablement, en tant que foule. »

C’est une belle figure d’humaniste.
« Je ne crois pas à votre cause, mais je crois aux hommes.
‒ Que voulez-vous dire ?
‒ Je ne sais pas. Je crois qu’ils sont des hommes et non des animaux. Si j’entre dans un chenil et que j’y trouve des chiens affamés, sales, malades, si je peux les soulager, je le fais. Ce n’est pas leur faute s’ils sont ainsi. Vous ne pouvez pas dire : « Ces chiens souffrent parce qu’ils n’ont pas d’ambition, parce qu’ils n’ont pas mis de côté une partie des os qu’on leur jette. » Non. Vous les nourrissez, vous les soignez. C’est cela que je ressens. J’ai une certaine habileté à soulager les hommes. Lorsque j’en vois qui souffrent, je les aide. Je ne réfléchis pas outre mesure. Si un peintre voit une toile nue et qu’il ait des couleurs à sa disposition, il éprouve le besoin de peindre, sans discuter pourquoi il éprouve ce besoin. »

Il y a un côté didactique dans ce "roman", mais il décrit aussi la réalité sociale.
« ‒ Qui sont ces "vigilants", Mac ? demanda Jim. Quelle sorte de types ?
‒ Ce qu’il y a de pis dans la ville. Ceux qui ont brûlé les maisons d’Allemands pendant la guerre. Ceux qui lynchent les nègres. Ils sont cruels à plaisir. Ils aiment faire du mal, et ils appellent ça d’un joli nom : patriotisme, ou protection de la Constitution. Les patrons se servent d’eux et leur disent : "Il faut protéger les gens contre les communistes." Alors, ils brûlent les maisons et torturent les gens, sans courir de danger. C’est tout ce qu’il leur faut. Ils sont lâches. Ils tirent embusqués ou ils attaquent les autres à dix contre un. »

« Cette vallée est organisée. Très bien organisée. C’est facile lorsque quelques hommes seulement contrôlent la terre, l’argent et la justice. Ils peuvent réclamer de l’argent prêté, ils peuvent corrompre, ils peuvent faire condamner ceux qui les gênent. »

Mac et Jim essaient de se résumer à des outils froids et calculateurs pour user d’autorité et de persuasion (oratoire notamment).
Scène remarquable où figurent simultanément un communiste tué et un cochon qu’on abat !
« ‒ Ce n’est rien, dit Burton ; ils tuent un cochon : un des camions l’a amené tout à l’heure, vivant. Apportez-moi le cadavre. »

Le nœud essentiel :
« Vous savez que j’accomplis une tâche et que tous les moyens me sont bons. »

« ‒ Vous ne devriez penser qu’au résultat, Doc, dit Jim. De toutes ces luttes sortira du bien qui justifie les moyens.
‒ Jim, je voudrais en être sûr. Si j’en crois ma jeune expérience, la fin n’est jamais très différente des moyens, au moins quant à sa nature. Bon Dieu, Jim, il ne peut naître que violence d’une chose édifiée dans la violence.
‒ Il n’y a pas de commencements, dit Burton, ni de fins. Il me semble que l’homme s’est engagé dans une lutte terrible, aveugle, pour s’arracher à un passé dont il ne se souvient pas, vers un futur qu’il est incapable de prévoir et de comprendre. L’homme a affronté et vaincu tous les ennemis possibles, à l’exception d’un seul. Il est incapable de remporter une victoire sur lui même. L’humanité se déteste elle-même. »


\Mots-clés : #mondedutravail #politique #social #xixesiecle
par Tristram
le Dim 31 Jan - 12:26
 
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Sujet: John Steinbeck
Réponses: 88
Vues: 8092

Louise Erdrich

La Chorale des maîtres bouchers

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 La_cho11

À la fin de la Première Guerre mondiale, le jeune Fidelis Waldvogel rentre du front et rencontre Eva, la fiancée enceinte de son ami mort au combat, et l’épouse. Puis, quittant l’Allemagne défaite, il part en Amérique, avec une valise de saucisses fumées pour payer le voyage (et ses couteaux de boucherie) jusqu’à Argus, Dakota du Nord, où Eva et Frank le rejoindront. Ils rencontreront ensuite Cyprian Lazarre l’équilibriste et sa partenaire Delphine, Roy le père ivrogne de cette dernière, et son amie d’enfance Clarisse l’embaumeuse. Les protagonistes hauts en couleur sont souvent remarquables, comme Un-Pas-Et-Demi la chiffonnière, mais « Tante » est caricaturale.  
Au début, Fidelis paraît être le personnage principal (qui sera plutôt Delphine), et semble trop parfait :
« Avant de le rencontrer, elle sentit sa présence, tel un afflux de courant électrique dans l’air lorsque les nuages sont bas et que la foudre passe en bondissant sur la terre. Puis elle sentit une pesanteur. Un champ de gravité lui traversa le corps. Elle essayait de se lever, de chasser cette sensation, lorsqu’il remplit brusquement tout l’encadrement de la porte. Puis il entra et remplit toute la pièce.
Ce n’était pas sa taille. Il n’était pas extraordinairement grand, ni large. Mais de lui émanait une puissance, comme s’il contenait un homme plus grand tassé à l’intérieur. Ou était-ce, pourquoi pas, qu’il était bourré de hurlements d’animaux ? C’était peut-être ses épaules musclées, ou son silence attentif. »

C’est un roman à la fois classique et original sur le rêve américain, relevé de quelques scènes épouvantables et surtout de bizarreries dont on ne sait si elles sont des maladresses dues à la traduction :
« …] il devait abattre une truie primée appartenant aux Mecklenberg, et la décréer en côtelettes, filet, jambons, jarrets, pieds en saumure, lard maigre, bacon et saucisses. »

« D’un coup de talon, il referma avec soin la porte derrière eux, puis déposa Delphine sur le couvre-lit jaune d’or, froid et glissant. »

Il y a une évidente part d’inspiration puisée par Erdrich dans son vécu (mari allemand, etc.), et la Seconde Guerre mondiale sera un dilemme pour les États-Uniens d’origine allemande ; le livre critique par moments la société états-unienne.
« Une réclame pour du chewing-gum laissant entendre qu’une tablette dans chaque lettre combattrait la solitude, et aviverait même les facultés d’observation des troupes. "Voilà comment nous sommes dans ce pays, cria-t-elle. La destruction est une façon de vendre du chewing-gum !" »

Les odeurs (pas forcément agréables) sont prégnantes.
« Elle sentait les érables, les pins, le suintement de la rivière plutôt que l’odeur crue, primitive et caverneuse des bœufs que l’on ouvre. »

Certaines observations psychologiques me paraissent douteuses :
« Par contraste, Clarisse réservait sa précision à son métier et négligeait sa maison, tenait les lieux dans un état de désordre féminin. »

Erdrich a une sensibilité particulière, qui occasionne de beaux passages.
« En entrant dans la cuisine d’Eva, quelque chose de profond arriva à Delphine. Elle ressentit une fabuleuse expansion de son être. Prise de vertige, elle eut l’impression d’une chute en vrille et puis d’un silence, à la façon d’un oiseau qui se pose. »

On peut s’interroger sur une influence amérindienne de sa perception du monde.
« Si je meurs, ne soyez pas trop tristes, leur recommanda-t-elle, la mort n’est qu’une partie de choses plus vastes que ce que nous pouvons imaginer. Nos cerveaux entament simplement ce qui est grand, pour apprendre comment faire des choses telles que voler. Et après ? Vous verrez, et vous verrez que votre mère fait partie du plan d’ensemble. Et je serai toujours composée de choses, et les choses seront toujours composées de moi. Rien ne peut se débarrasser de moi parce que je suis déjà contenue dans le motif. »

Mais j’ai regretté une certaine outrance, et une sorte de manque de cohérence dans l’ensemble.
Il me semble que l’œuvre de Louise Erdrich s’apparente à celle de Joyce Carol Oates (mais je n’ai pas assez lu celle-ci pour être affirmatif), ou plus largement à Jean-Christophe Grangé et consorts (même remarque).

\Mots-clés : #famille #immigration #viequotidienne #xixesiecle
par Tristram
le Ven 29 Jan - 13:17
 
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Sujet: Louise Erdrich
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Charles De Coster

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Légendes flamandes

Avec le quatrième de couverture ça reste mystérieux :

Au regard de l’histoire littéraire, Charles De Coster est l’homme d’une seule œuvre : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, considérée comme le texte fondateur des lettres belges. Mais de toute la production de Charles De Coster, il faut assurément détacher les Légendes flamandes.

Ces légendes nous content la création de la confrérie des courageuses femmes-archers d’Uccle, qui combattent l’ennemi pendant que leurs maris dorment (Les Frères de la Bonne Trogne), la fondation miraculeuse de l’église d’Haeckendover par trois pucelles (Blanche, Claire et Candide), la vengeance de la courageuse Magtelt contre le beau et cruel Halewyn, que le sang des vierges régénère (Sire Halewyn), le pacte avec le diable d’un forgeron ruiné et ses ruses pour déjouer ses émissaires (Smetse Smee).

Ces quatre contes sont le laboratoire des techniques littéraires qui feront de l’Ulenspiegel une œuvre unique.

espacenord.com


A la lecture dépaysement et déroutement. On sent le bon temps de la légende, le fantastique de la légende mais en prenant le chemin d'un humour et de ressorts ouvertement "populaires"... ou simples. On boit bien, on est un peu filous, les femmes ronchonnes... Et le texte joue la forme du vieillot. Oncques ne relèvera pourtant de trucs incompréhensibles. Ca se lit très bien avec une évidente curiosité, de la gourmandise même (avec ou sans bruinbier). Les chapitres, avec leurs introductions à l'ancienne sont courts et rythme le récit, les personnages sont de chatoyantes images de fables. Drôlerie, cruauté, justice, piété, tous les ingrédients sont là.

Ce qui fait qu'on se prend au jeu aussi, au fil des pages, c'est la poésie un rien archaïque qui nous baigne. Ce qui sans en avoir tant l'air, différencie le texte de "l'ancien authentique". Les touches qui discrètement mais naturellement place la femme en bonne place. Les appels à l'histoire (occupation et répression espagnole) aussi pour dessiner une force à ces bons caractères bonhommes.

Un drôle de mélange donc. Pas du régionalisme, du conte oui, de la poésie aussi, une recherche, de la diversité. Les joies du narration fluide et riche en images...

Énigmatique ce pays voisin !

Mots-clés : #contemythe #lieu #moyenage #xixesiecle
par animal
le Mer 27 Jan - 20:32
 
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Sujet: Charles De Coster
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Antonio Lobo Antunes

Le Manuel des inquisiteurs

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Un propriétaire terrien, Francisco, monsieur le docteur, ministre proche de Salazar avant l’arrivée au pouvoir des « communistes », a été quitté par son épouse Isabel pour un financier. L’homme de pouvoir sera finalement interné, cancéreux et moribond :
« …] le pantin dont il semblait que le moteur détraqué d’une tondeuse à gazon se disloquait dans sa poitrine, mon père qui un an après la révolution s’obstinait à attendre les communistes dans le domaine dévasté, jouant du piano au milieu du salon dans une
le saint transformé en un mikado de tibias, en une paire de narines dilatées, en un fantoche sans mérite, et moi malgré tout attendant une parole sans savoir laquelle et qui ne venait pas, qui ne viendrait jamais, d’autant que le médecin m’a expliqué qu’il ne fallait pas y songer en me montrant des analyses et sur des radios des taches qu’il a entourées de son stylo avec un soin didactique [… »

Il a un fils, João, un faible vite spolié par la famille de sa femme, Sofia.
« ‒ Il n’y a plus rien qu’ils puissent me prendre
et les eucalyptus qui s’avançaient vers lui à travers une cohue de grenouilles, les eucalyptus qui occuperont de leurs coassements le domaine tout entier si les cousins de Sofia et le secrétaire du tribunal ne viennent pas m’expulser un de ces jours [… »

Longues phrases heureusement scandées de renvois à la ligne, rendant les ressassages et digressions d’un flux de conscience ininterrompu, des monologues aussi, chaque « récit » alternant avec un « commentaire » d’un des protagonistes ou proches impliqués, non sans allers-retours dans le temps. Ce procédé dans la lignée de Joyce et Woolf est toujours exigeant du lecteur, mais c’est ici une réussite qui n’empêche pas ce dernier d’identifier les personnages et leurs rapports autour de la figure de pouvoir ; de plus, une certaine évolution fixe l’attention dans l’entendement de révélations successives. (À déplorer malheureusement des fautes et coquilles, d’autant plus gênantes dans ce genre de texte.)
Outre les répétitions constantes, tels le cigarillo et les bretelles élastiques du ministre, des sortes de refrains ponctuent le cours du texte qui paraît parlé ; voici un de ces leitmotive temporaires, pour le coup empreint de poésie :
« ‒ Il n’existe rien au monde de plus lent que les troupeaux et les nuages »

Suivent donc la cuisinière, que monsieur le docteur saillit comme quelques autres, le vétérinaire qui devra assister cette dernière lorsqu’elle donnera le jour à Paula, (demi-)sœur de João, puis sa nourrice, et encore son amant César à qui cela vaudra une raclée, Dona Albertina, Titina la gouvernante, puis Lina sa soignante, qui se trouve connaître João expulsé du domaine…
« la clarté de Setúbal à travers les stores pareille à la lumière ambrée de la morgue où le Christ avec une tête de trafiquant de drogue mort d’overdose attend son autopsie sur le mur, les rideaux semblables à des tentures mortuaires, sur le marbre de la commode des boîtes et des brosses comme des os alignés pour l’examen du médecin légiste, ma femme s’affalant doucement comme une pieuvre s’endort, plongeant ses tentacules dans le sable des draps [… »

« …] même si à neuf ou dix ans je ne savais pas très bien ce que signifiait mourir, mourir c’était une personne mal élevée allongée avec ses chaussures sur un lit sans que personne ne lui en veuille d’abîmer le couvre-lit avec ses talons, c’était un visage couvert d’un foulard avec dessus des mouches à viande par dizaines et puis après on soupirait, on mangeait des sandwichs et on l’emmenait pour la punir dans un internat où elle n’abîmerait pas les couvre-lits ou bien on la remettait aux Gitans chez qui tout est déjà abîmé, les femmes, les mules et leur vie [… »

« ‒ Elle dit que c’est la fille de monsieur le ministre elle dit qu’elle veut parler à son père et dehors la ville aux veines ouvertes charriant des généraux de bronze, des pigeons et des laiteries vers le Tage, des pavillons avec des moteurs à gasoil de rive en rive dans une lenteur de frégates [… »

« …] remonte le ressort du perroquet de feutre qui piaille durant cinq minutes en oscillant d’arrière en avant avec un air de béatitude confuse
‒ Qui commande ? Salazar Salazar Salazar
de plus en plus lentement jusqu’à finir par se taire au milieu de la phrase et de sa danse en une expression d’attardé [… »

Autre personnage marquant : Romeu l’innocent, qui rêve des caravelles chères à Ántonio Lobo Antunes, est amoureux de Paula.
« ma mère lissant le costume avec le fer à repasser, soulignant les plis, vérifiant les boutons, nettoyant une tache de moisi avec l’élixir pour les dents, rangeant l’épingle de la cravate dans un petit sac de toile et le mélangeant aux oignons pour tromper les voleurs, branchant la télévision et moi en pyjama en train d’attendre la soupe tandis que la taverne s’assombrissait, que le fleuve s’assombrissait, qu’on allumait des torches autour de la potence et sur les caravelles de l’Infante, que les bœufs transportaient le canon en labourant l’écume avec l’araire que faisaient leurs cornes, la pendule clamant dix heures et ma mère sans interrompre son ouvrage au crochet
‒ Romeu au lit
un divan rembourré d’épis avec un chien en velours sur l’oreiller et ma mère refrénant la pendule qui, si on la laissait faire, saignait comme un porc la nuit entière
‒ Tu as ton chien-chien Romeu ? »

« …] une femme qui passait ses journées à protéger son fils des gamins de l’école, des vauriens de la taverne qui lui enfilaient une bouteille de gnôle dans les mains et lui baissaient le pantalon pour voir je ne sais quoi ou plutôt je pense ne pas le savoir mais je n’en suis pas sûre ou bon d’accord je le sais écrivez dans votre livre que je le sais et que ça ne vaut pas la peine d’en parler, la clique de la taverne le saluant sous des applaudissements, suffoquant d’hilarité [… »

Il apparaît que toutes ces paroles sont des réponses aux interrogations d’un écrivain qui se documente :
« D’ailleurs ce que Paula a raconté ne me concerne pas ni ne m’intéresse, ce n’est pas la peine de fouiller dans votre serviette, de me montrer ces papiers car j’ai d’autres chats à fouetter et je ne vais pas les lire, ou bien vous me croyez ou bien vous ne me croyez pas et vous avez déjà beaucoup de chance que je parle avec vous parce que s’il prenait à Adélaïde de feuilleter votre livre et qu’elle tombe sur mon nom et sur les mensonges de Paula à mon sujet je suis fichu [… »

Cette galerie de portraits reprend l’histoire portugaise récente, politique et sociale (fascisme, guerre d’Angola), caricaturée jusqu’au grotesque.
Le style (en flux jusqu’à atteindre des acmés, transe du beat), les métaphores (les images font fréquemment référence aux précédentes) sont puissants :
« ‒ C’est celui-là ?
un chalutier qui cheminait sur l’eau comme un apôtre en troublant les albatros, les vagues qui plissaient et déplissaient leur front soucieux, un rot du sergent qui sonnait comme un cri de l’âme, comme un discours de cirrhose et de solitude, le major montrant le carnet à l’homme au chapeau que je connaissais sans me souvenir d’où
‒ C’est celui-là monsieur le ministre »

« un drapeau sur le mur, la carte du Portugal, des étagères de livres, des téléphones, des piles de lettres, le lion chromé du presse-papiers s’élançant sur un cendrier pris au dépourvu, le gaillard âgé qui vu de près, avec ses verres lui grossissant les orbites, donnait l’impression que ses cils étaient des petites pattes d’insecte en train de s’agiter, que ses yeux allaient se mettre à courir hors de son visage, cavaler de sa veste vers son pantalon, de son pantalon vers le sol et se tapir sous un meuble comme des cafards, attendant que je parte pour retourner à leur place près du nez, ses doigts humides sur le nard, sur ma main, sur mon épaule, tâtant les tendons de mon cou en une supplique infantile »

« …] les prisonniers, des paniers percés comme moi ici, des cageots frottés de peau, des cages de côtes disloquées qui voyaient le sable et la mer à travers les murs [… »

Mademoiselle Milá, jeune maîtresse du ministre auquel elle rappelle son épouse,
« …] si encore elle avait été intelligente, si elle avait été sympathique mais elle ne l’était pas, c’était un lambeau de timidité, un pudding de stupeur, un frisson de trouille. »

dona Dores sa mère,
« ‒ Tu n’aimes pas les poupées Dores ?
j’aimerais les poupées si elles étaient vivantes, mais les poupées mortes m’épouvantent surtout si elles continuent à battre des paupières, si elles continuent à répéter
‒ Maman
ma marraine penchant la poupée en avant et en arrière, et la poupée de battre des paupières et de répéter
‒ Maman »

puis le concierge acariâtre, ensuite le fourrier chauffeur du ministre, qui participa à l’assassinat du général d’aviation Humberto Delgado et de sa compagne (opposé au régime) :
« …] il était là mon oncle au fond du puits où nous l’avons trouvé un jour, nous nous sommes penchés et nous sommes tombés tout en bas sur son visage qui nous souriait, des fois en me rasant le matin je me heurte à ses dents bleues en train de ricaner au fond de mon miroir, une rangée de dents bleues et usées sur des gencives tout aussi bleues qui me narguent [… »

Avec le passage sur les vieilles, l’évocation du ministre impotent constitue un sommet :
« ‒ Pipi monsieur le docteur pipi on ne veut certainement pas salir son petit pyjama tout propre n’est-ce pas monsieur le docteur ?
des mains qui me lèvent, me couchent, me lavent, me donnent à manger, me coincent un vase de nuit entre les jambes, moi m’écoulant de moi-même en un cliquetis d’osselets, et elles de me pincer le menton avant de s’éloigner contentes, le long du couloir, m’emportant avec elles dans le vase de nuit »

« ‒ Petit bouillon monsieur le docteur un excellent petit bouillon aux légumes passés au presse-purée, un filet de merlan frit sans aucune arête que j’ai passé une demi-heure à enlever mon chameau, une petite poire cuite, celle-là pour papa allez on y va celle-là pour maman plus vite que ça celle-là pour moi car le diable t’emporte vieillard si je n’en mérite pas une aussi celle-là c’est pour votre couillon de fils pour qu’il ne vous trouve pas maigre le jour de la visite on ne va pas effrayer son fiston avec une frimousse de crève-la-faim on ne va pas effrayer son fiston avec une frimousse de momie on va être doux comme un agneau monsieur le docteur avalez nom d’un sacré petit bonhomme ne me fermez pas ces dents avalez vas-tu avaler ou non garnement ? »

L’aspect halluciné qu’atteint par moments le texte m’a fait penser à une des sources, ibérique, (ou à un flux commun) du macabre voire du réalisme magique sud-américain.

\Mots-clés : #corruption #historique #politique #regimeautoritaire #vieillesse #xixesiecle
par Tristram
le Mar 19 Jan - 21:27
 
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Sujet: Antonio Lobo Antunes
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Karl Gjellerup

MINNA

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Une histoire d’amour très romantique avec l’honneur et le drame inhérents.

Un jeune Danois qui fait des études à Dresde rencontre une très belle jeune fille alors qu’il passe son mois de vacance à Rathen dans la Saxe Suisse.
Ils tombent amoureux et envisagent de se marier, mais Minna lui confie qu’elle eu un amour platonique avec un des locataires de la maison de famille, un Danois comme lui, un peintre nommé Stephensen avec lequel elle entretien une relation épistolière. Elle écrit d’ailleurs à ce dernier pour lui faire part de son futur mariage.

Or Stephensen en est mécontent, il revient à Dresde, estime qu’il a un droit prioritaire sur Minna. Harald après un entretien avec lui consent à ce que Minna choisisse librement celui avec qui elle va s’unir ; librement car Stephensen affirme que lui étant absent la jeune fille n’a pas eu de choix.

Après un séjour de quelques jours chez un membre de sa famille Minna envoie une lettre à Harald lui disant que son choix s’est porté sur Stephensen, qu’elle a aimé avant lui.
Harald part en Angleterre travailler aux côtés de son oncle.

Quatre ans plus tard, Harald se rend à Copenhague où il s’informe sur le couple de Minna et du peintre Stephensen, il l’aperçoit dans un bar et voit sur son visage combien elle méprise son mari.

Alors qu’il voyage dans plusieurs pays européens pour le travail, il décide de passer par Dresde et poussant plus loin à Rathen pour retrouver les bons moments qu’il y a passés. Coïncidence Minna et Stephensen s’y trouvent aussi. A Dresde où Harald pense retrouver le couple, Stephensen débarque seul du train et apprend à Harald que Minna est à Sonnenstein où elle doit se soigner. Ce château est connu pour héberger des personnes souffrant de troubles mentaux. Harald accuse Stephensen d’être coupable de son état.

Harald part immédiatement là-bas, s’informe de l’état de Minna auprès du médecin, celui-ci dit qu’elle est malade cérébralement mais n’était pas en danger de devenir folle ; par contre sa maladie de cœur était inquiétante. Il est souhaitable que la jeune femme soit éloignée de la vie de couple qui était la sienne. Il restera donc à Dresde pour pouvoir la soutenir dans sa maladie mais quelques jours plus tard le médecin de Sonnenstein lui apprend que Minna a succombé à une crise cardiaque.



C’est une écriture des plus poétiques, les descriptions sont vraiment belles, précises, détaillées, notamment celles de la ville de Dresde.

De la culture aussi avec les évocations de Goethe, Schiller, l'opéra, des philosophes de  la littérature, la peinture...

Quant à l’histoire d’amour, son romantisme monte en tension au fil du temps jusqu’ au dénouement.

La couverture du livre est illustrée par Picasso et les autres  illustrations qui  figurent dans le livre sont de May Néama.



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\Mots-clés : #amour #xixesiecle
par Bédoulène
le Sam 16 Jan - 23:26
 
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Emile Zola

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Nana

Le culot de Zola pour nous sortir un tel roman en 1880. Parce que même pour moi, ça devenait vraiment sale ! On imagine le choc à l’époque.

La « blonde grasse » Nana croque les hommes, les suce jusqu’à la moëlle de leurs économies puis les jette. Mais la plume de Zola nous la rend attendrissante au début. C’est presque une enfant gentille et douce qui n'a pas tellement grandi, dont on ne refuse pas les caprices ; caprices qui deviendront monstruosités sur la fin… J’ai une pensée douce amère pour le pauvre comte Muffat (« mufe » pour les intimes) assez sympathique dans sa servilité affective et sexuelle…


« Hein ? mon petit mufe, encore un rival de moins. Tu jubiles aujourd’hui… Mais c’est qu’il devenait sérieux ! Il voulait m’épouser. » Comme il pâlissait, elle se pendit à son cou, en riant, en lui enfonçant d’une caresse chacune de ses cruautés […] Muffat avait accepté les autres. Maintenant, il mettait sa dernière dignité à rester « Monsieur » pour les domestiques et les familiers de la maison, l’homme qui, donnant le plus, était l’amant officiel. Et sa passion s’acharnait. Il se maintenait en payant, achetant très cher jusqu’aux sourires, volé même et n’en ayant jamais pour son argent ; mais c’était comme une maladie qui le rongeait, il ne pouvait s’empêcher d’en souffrir. Lorsqu’il entrait dans la chambre de Nana, il se contentait d’ouvrir un instant les fenêtres afin de chasser l’odeur des autres, des effluves de blonds et de bruns, des fumées de cigares dont l’âcreté le suffoquait. […] Puis, là, dans cette chambre, un vertige le grisait. Il oubliait tout, la cohue des mâles qui la traversaient, le deuil qui en fermait la porte. Dehors, parfois, au grand air de la rue, il pleurait de honte et de révolte, en jurant de ne jamais y rentrer. Et, dès que la portière retombait, il était repris, il se sentait fondre à la tiédeur de la pièce, la chair pénétrée d’un parfum, envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement. »


Je pense aussi au pauvre petit Georges, triste victime collatérale de ses derniers caprices, dindon de toutes les farces, qui la poursuit dans une scène de demandes en mariage alors même que Nana lui dit aller se donner à un autre homme pour se payer sa pommade… L’écriture est assez jouissive (peut-être un peu trop ?). On évoque même l'homosexualité féminine. Le Zola semble avoir vraiment étudié (vécu ?) la situation, les personnages sont plus vrais que nature, jamais vraiment manichéens.

Nana est une « mouche dorée », presque une charogne baudelairienne. Victime et actrice, presque tout le monde se gausse d’elle (je pense à la scène mémorable du banquet improvisé & évidemment de la scène finale). Le dégoût supplante le plaisir, sur la fin...


\Mots-clés : {#}conditionfeminine{/#} {#}sexualité{/#} {#}social{/#} {#}xixesiecle{/#}
par Invité
le Lun 11 Jan - 0:15
 
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Sujet: Emile Zola
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Guy de Maupassant

La Maison Tellier

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Quel bonheur d’expression ! même si elle est légèrement datée. Il est vrai que Maupassant évoque si excellemment le plaisir, la sensualité, le bien-être printanier…
« Sa nouvelle profession l’entretenant dans la mollesse et l’immobilité, il était devenu très gros, et la santé l’avait étouffé. »

« Les étourdissements du vin, développés par la chaleur torrentielle qui ruisselait autour d’elle, faisaient saluer sur son passage tous les arbres de la berge. » [en canot]

Ces nouvelles respirent la bonhomie, la belle humeur, l’empathie aussi, et réveillent des souvenirs de messes, de pique-niques (d'autant plus que, dans mon cas, il s'avère que c’est une relecture) ; aussi un peu de nostalgie (même si on n’a pas connu le canotage du dimanche sur la Seine et les bordels), mais avec si peu de distance pour des textes qui ont 140 ans !
Cependant l’ombre perce sous la lumière ; Sur l’eau mêle le goût de la rivière et celui de la peur fantastique, avec une prémisse de la schizophrénie :
« J’essayai de me raisonner. Je me sentais la volonté bien ferme de ne point avoir peur, mais il y avait en moi autre chose que ma volonté, et cette autre chose avait peur. Je me demandai ce que je pouvais redouter ; mon moi brave railla mon moi poltron, et jamais aussi bien que ce jour-là je ne saisis l’opposition des deux êtres qui sont en nous, l’un voulant, l’autre résistant, et chacun l’emportant tour à tour. »


\Mots-clés : #nouvelle #xixesiecle
par Tristram
le Sam 5 Déc - 23:55
 
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Joaquim Maria Machado de Assis

Mémoires posthumes de Brás Cubas

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Mzomoi10

D’entrée, Machado de Assis se place sous l’égide de Sterne et Xavier de Maistre, et les digressions empreintes d’humour qui suivent en attestent. Le narrateur est un Carioca qui se présente en effet non pas comme « à proprement parler, un auteur défunt, mais un défunt auteur »… Un ascendant du Pedro Páramo de Rulfo, mais l’analogie s’arrête là (quoique l'auteur soit vraisemblablement une des sources du réalisme magique). Brás Cubas nous raconte comment il est mort d’une idée fixe, « l’invention d’un médicament sublime, un emplâtre “anti-hypocondriaque” »… « l’amour de la renommée, l’emplâtre Brás Cubas. »
« Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de la franchise avec laquelle j’expose et mets en lumière ma médiocrité ; qu’il n’oublie pas que la franchise est la première qualité d’un défunt. »

« Mais c’est cela justement qui fait de nous [les morts] les maîtres de la terre, c’est ce pouvoir de faire revivre le passé, afin de toucher du doigt l’instabilité de nos impressions et la vanité de nos affections. Laisse Pascal affirmer que l’homme est un roseau pensant. Non ; l’homme est un erratum pensant, cela oui. Chaque âge de la vie est une édition, qui corrige l’édition antérieure, et qui sera corrigée elle-même, jusqu’à l’édition définitive, que l’éditeur distribue gratuitement aux vers. »

Dans cette biographie ou récit posthume, il s’adresse directement au lecteur (comme déjà le Cervantès de Don Quichotte) :
« Comme les autres lecteurs, ses confrères, je pense qu’il préfère l’anecdote à la réflexion, en quoi il a bien raison. Nous y arriverons donc. Mais il ne faut pas oublier que ce livre est écrit sans hâte, avec le flegme d’un homme déjà délivré de la brièveté du siècle, œuvre éminemment philosophique, d’une philosophie inégale, tantôt sévère, tantôt plaisante, qui ne veut ni construire ni détruire, qui ne peut ni enflammer ni refroidir, qui est tout de même plus qu’un passe-temps et moins qu’un apostolat. »

« Je revins… Mais non, n’allongeons pas ce chapitre. Parfois je m’oublie à écrire et ma plume court, mangeant le papier, non sans préjudice pour moi, l’auteur. De longs chapitres conviennent mieux à des lecteurs d’esprit pesant, tandis que nous, nous ne sommes pas un public in-folio, mais in-douze : peu de texte, grandes marges, impression élégante, tranche dorée et vignettes…, vignettes surtout… Non, n’allongeons pas ce chapitre. »

« Que le lecteur ne s’irrite pas de cette confession. Je sais bien que, pour chatouiller les nerfs de son imagination, je devrais souffrir d’un profond désespoir, répandre quelques larmes et m’abstenir de déjeuner. Ce serait romanesque, mais ce ne serait pas biographique. La réalité pure est que je déjeunai comme les autres jours, soignant mon cœur avec les souvenirs de mon aventure et mon estomac avec les plats fins de M. Prudhon… »

Dans le même esprit, l’auteur-narrateur se commente en délectables apartés qui créent une connivence facétieuse avec le lecteur :
« Je ne me rappelle plus où j’en étais… Ah oui ! aux chemins inconnus. »

« Le manque d’à propos m’a encore fait perdre un chapitre. N’aurait-il pas mieux valu dire les choses tout uniment, sans tous ces heurts ? J’ai déjà comparé mon style à la démarche des ivrognes. »

« La fin du dernier chapitre m’a laissé si triste que je me sentirais capable de ne pas écrire celui-ci, de me reposer un peu, de purger mon esprit de la mélancolie qui l’embarrasse, avant de continuer. Mais non, je ne veux pas perdre de temps. »

Il m’a ramentu notamment Brantôme ; on pense également à des auteurs comme Voltaire (auquel il sera souvent fait référence plus loin) :
« Je songeai alors que les bottes étroites sont un des plus grands bonheurs de la terre, car, en faisant souffrir les pieds, elles donnent naissance au plaisir de se déchausser. »

Certains passages, parfaitement hors de propos, sont fort savoureux, tel le chapitre 21 : son baudet s’emballe et le jette à bas, il est sauvé par un muletier et décide de gratifier ce dernier d’une somme d’argent, dont le montant diminue rapidement comme il se remet de l’accident…
Suivant généralement le caprice du « trapèze de [s]on esprit », Brás Cubas regarde souvent ses chaussures, le bout de son nez ou une mouche, lors de médiations parfois amères. Il égrène ainsi quelques brèves observations à propos de l’enterrement de son père, puis conclut :
« Cela paraît un simple inventaire : ce sont des notes que j’avais prises pour un chapitre triste et banal, que je n’écrirai pas. »

Certaines phrases bien senties confient à l’aphorisme ou à l’apophtegme (parfois dans l’ombre de Shakespeare, de Calderón de la Barca et d’autres) :
« Jamais je n’ai cessé de penser en moi-même que notre petite épée est toujours plus grande pour nous que l’épée de Napoléon. »

« Sur le théâtre de la tragédie humaine, peut-être eût-il suffi d’un figurant de moins pour faire tomber la pièce. »

« Il y a des inventions qui se transforment ou disparaissent, les institutions elles-mêmes meurent : l’horloge est définitive et perpétuelle. Le dernier homme, au moment de quitter cette terre froide et dévastée, aura dans sa poche une montre, pour savoir l’heure exacte de sa mort. »

Et cette belle définition de l’aveuglement humain :
« …] ce phénomène, pas très rare sans doute, mais toujours curieux : l’imagination élevée au rang de conviction. »

Machado de Assis revient sur ce thème, lorsque le mari de son amante sacrifie son ambition à sa superstition. Justement, Brás Cubas nous raconte ses amours, « La belle Marcella », cupide ; Eugénia, « la fleur du bosquet » ; surtout Virgilia, femme de cet ami ; enfin Nhã-lolo, ou Eulalia. Il nous présente aussi Quincas Borba, philosophe théoricien de « l’Humanitisme » ; ce personnage est à l’origine vraisemblablement du roman éponyme ultérieur. De même, « L’aliéniste » de rencontre donnera une novella l’année suivante.

Ce roman assez court est fragmenté en 160 chapitres brefs, ce qui en rend la lecture agréable. Pour donner le ton, voici deux chapitres in extenso :
« 124
Intermède
Qu’y a-t-il entre la vie et la mort ? Un simple pont. Cependant, si je ne composais pas ce chapitre, le lecteur éprouverait une pénible secousse, assez préjudiciable à l’effet du livre. Sauter d’un portrait à une épitaphe est chose courante dans la vie réelle ; mais le lecteur ne se réfugie dans un livre que pour échapper à la vie. Je ne prétends pas que cette pensée soit de moi : je prétends qu’il y a en elle une dose de vérité et que, tout au moins, la forme en est pittoresque. Et je le répète : elle n’est pas de moi. »

« 136
Inutilité
Mais, ou je me trompe fort, ou je viens d’écrire un chapitre inutile. »

À la fois démonstration et fin en soi, l’histoire se dilue, badine, dans l’insignifiance humaine.
Un auteur à mon gré, que je regretterais de n’avoir pas découvert plus tôt !

\Mots-clés : #absurde #humour #xixesiecle
par Tristram
le Jeu 26 Nov - 23:26
 
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Sujet: Joaquim Maria Machado de Assis
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E. L. Doctorow

Homer & Langley

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Au cœur cet étrange fait divers, c’est toute une affaire de perception qui intéresse E. L. Doctorow. Celle de Homer et de son frère Langley, nés à la fin du dix-neuvième siècle, ayant vécu dans une autarcie progressive (électricité, gaz et eau coupés) et dans un entassement compulsif de déchets jusqu’en 1941 ― jusqu’aux années 70 dans le roman de Doctorow. Perception de ce qu’ils sont en train de vivre ainsi que celle du monde extérieur et de son évolution politique. Le monde en vase clos des frères Collyer s’émiette peu à peu sous la force du premier, dont Homer, narrateur aveugle, n’a d’échos qu’à travers ce qu’en dit son frère, et c’est peu dire que Langley voit le monde extérieur à travers des ornières. Au passage leur confinement repose sur l’idée de Langley qu’ils peuvent ignorer la société, que n’ont-ils vécu jusqu’aux temps de notre chère covid-19 !

On peut présumer que c’était à mon intention qu’il créait une œuvre aussi tactile que possible, mais en réalité, c’était parce que la dimensionnalité lui plaisait. Enfreindre des règles lui plaisait. Pourquoi, après tout, un tableau devrait-il être plat ? Il plantait une toile devant moi et me la faisait toucher. Quel est le sujet ? demandais-je, et il répondait : Il n’y a pas de sujet, ce tableau ne représente rien. Il est lui-même et ça suffit.


Doctorow se montre juste et parfois tout à fait pertinent dans sa manière de décrire la psychologie de Langley et son emprise sur son frère. Mais Langley reste relativement en retrait quand l’extérieur fait irruption dans leur déréliction de façon assez comique et impromptue (à travers l’arrivée d’un gangster et ses acolytes dans le domaine, ou celle de hippies). Lorsque leur solitude est rompue, leur quotidien bascule dans l’irréalité, faute de crédibilité des événements. Le mélange est détonnant. On dirait presque qu’à force de grignoter le domaine Collyer, le monde extérieur a perdu toute nécessité d’être justifié ou expliqué.


Mots-clés : #fratrie #xixesiecle
par Dreep
le Lun 16 Nov - 17:28
 
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Sujet: E. L. Doctorow
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Honoré de Balzac

Les Paysans

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Adolphe Appian - Paysage d'hiver avec ramasseur de fagots, 1854.

[relecture, la 3ème, peut-être la 4ème (?)]

Inachevé, fin d'écriture en 1844 (peut-être 1845), parachevé par Mme Hańska, alors Mme veuve Évelyne de Balzac, publication en 1855.

J'entretiens une relation un peu particulière avec cet opus-là, de tous temps un de mes deux préférés de Balzac, nonobstant je n'ai pas épuisé la totalité de son œuvre (!).

Je le trouve d'une richesse toute particulière, fouillé, extrêmement abouti (le comble, pour un inachevé ?), donnant matière à réflexions, du grain à moudre (et constituant, pour les amateurs, une belle mine à citations).
Élaboré avec force détails, cet ouvrage suppose bien des visites sur le terrain d'abord, mais aussi moult rencontres et observations attentives de mœurs et caractères.

Et d'ailleurs, en note liminaire, l'Ogre de la Littérature nous livre ce propos, que je ne prends pas pour publicitaire, pour moi Balzac s'est surpassé, cet ouvrage-là, très ambitieux, lui tenait tout particulièrement à cœur:
Si j’ai, pendant huit ans, cent fois quitté, cent fois repris ce livre, le plus considérable de ceux que j’ai résolu d’écrire (...)

Les biographes s'accordent pour situer le début d'écriture aux alentours de 1838, le compte paraît bon.

Le style:

Rien de bien neuf dans la manière, du Balzac pur jus, parvenu à un point de rodage, d'expérience, de maîtrise en tous points exceptionnels. Vous n'éviterez pas les foisons de personnages, les descriptions au scalpel et à la loupe binoculaire, les envolées lyre en main, les détails architecturaux ou de décoration.
Voliges légères sur charpente solide...


Le sujet:

Au début du roman, nous sommes en 1826 - La Restauration.
Le lieu ?
Quelque part en Bourgogne, aux confins du Morvan, la toponymie est de fiction, ce qui n'est pas si souvent le cas que ça chez Balzac, mais, via le nom de la rivière entre autres (l'Avonne), et surtout par les caractéristiques géographiques et de terroir que Balzac est bien obligé de détailler pour un tel projet rural, on peut le situer le lieu aux alentours d'Avallon.    

Le château des Aigues, qui a appartenu à une ex-diva partie en exil campagnard prudent lors des troubles révolutionnaires de la dernière décennie du XVIIIème siècle, Melle Laguerre, a été acheté par un général d'Empire, fait Comte de Montcornet, anobli pour services militaires rendus -ce fut notamment un héros de la bataille d'Essling- ce coup de savonnette à vilains lui permettant d'épouser une jeune noble de haute famille, d'être en vue dans le Monde parisien et même d'ambitionner la Pairie de France.

La belle Comtesse se plaît au Château, y a invité celui qu'on ne sait pas encore être son amant, l'écrivain parisien Blondet, lequel nous ouvre de façon épistolaire le roman, et, en guise de société, accueille souvent l'abbé Brossette, jeune et fin prêtre de la paroisse, une belle âme, isolé et surveillé de près, dont les messes sont désertées par ses paroissiens.

Aux portes du domaine, le Grand-I-Vert, débit tenu par les Tonsard, est le rendez-vous des paysans, avec un côté Parlement du peuple (Balzac n'ose sans doute utiliser le terme manants, trop dépréciatif si ce n'est péjoratif, et daté Ancien Régime). Ce débit de boisson à son pendant bourgeois à La-Ville-aux-Fayes, Le Café de la Paix, le pignon sur rue n'évite pas qu'on y distillât un venin tout aussi létal.

Les paysans, à prétexte d'un droit à hallebotter, glaner et ramasser du bois mort, dévastent, pillent les bois, champs et récoltes du Général-Comte, outre un droit de vaine-pâture qu'ils s'arrogent, menant paître leur bétail sur les prés possédés par le châtelain, et tiennent cet accaparement du bien d'autrui pour un droit ancien et acquis, puisqu'ils pratiquaient de la sorte pendant les trente années de vie au Château des Aigues de Melle Laguerre.

Ces paysans-là sont décrits férocement: bas, vicieux, cupides, à l'animalité glaiseuse, peu portés sur la morale, etc...(voir ceux campés dans Les Chouans, ce sont les mêmes, transposés en Bourgogne), avec bien sûr toujours une exception tout à l'opposé, procédé du contrepoint cher à l'auteur.

Mais ceux-ci ne sont qu'instruments dans la main de Gaubertin, l'ancien régisseur congédié, qui volait ouvertement Melle Laguerre, et ourdit une conspiration afin de ruiner le château, le parc, les biens et avoirs de Montcornet, en guise de vengeance.

Une trame complexe et lente, que Balzac nous fait la joie de peindre avec une acuité prégnante, où entrent en jeu des alliances familiales, des services rendus, des obligés, des promesses et des perspectives; bien sûr aussi, des intérêts financiers et de carrière. Tout un réseau, une nasse, une toile d'araignée autour de l'impétrant Comte, qui a le scandale de faire valoir ses droits, juste ses droits.

Gaubertin a, ainsi, peu à peu étendu son pouvoir sur toute la contrée:
Commerce, justice, police, administration y dépendent de trois hommes à lui; dans le bourg de Blangy, il tient l'ex-maire, Rigou, sévère usurier rural tenant ceux d'entre les paysans qui se sont endettés pour se mettre à leur compte, tyranneau domestique absolu, voluptueux jouisseur épicurien, et terreur pédophile du canton.
À Soulanges, chef-lieu d'arrondissement, le maire, Soudry, en phase d'ascension politique, et bien sûr son influente épouse sont à ses ordres, cette dernière, ridicule d'accoutrement, de manières mais perçue tel le summum du raffinement distingué, est une ancienne soubrette de Melle Laguerre, l'ayant passablement dépouillée, en sus d'un leg en sa faveur.

Enfin, il fait la pluie et le beau temps à la sous-préfecture de la Ville-Aux-Fayes, et le maire de cette dernière municipalité n'est autre que Gaubertin lui-même.
En népotisme bien compris et appliqué, pas une nomination d'ordre administratif, fiscal, ou de la fonction publique en général qui échappe à ses mains, ou à des mains alliées (sinon, le muté, à qui l'on rend la vie impossible, déguerpit en moins d'une année).

D'ailleurs ces étrangers (à la contrée, dont bien sûr le Comte et la Comtese de Montcornet) sont qualifiés en manière d'ostracisme d'Arminacs (= non bourguignons), vieille résurgence du conflit du début du XVème entre Armagnacs et Bourguignons, autant dire étrangers néfastes, hostiles et dangereux.
De surcroît Montcornet, en référence à ses origines roturières, récolte le surnom de Tapissier, son père était ébéniste, manière de le descendre de son piédestal d'anobli et de faire fi de son grade de Général, won on the battlefield...

On qualifierait aujourd'hui un tel système de mafieux.
Mais ces mafiosi-là se pensent et se posent en êtres modèles, bon républicains, probes, droits, honnêtes, respectueux de la loi (même si à l'évidence ce ne sont pas eux qui s'adaptent à la loi, tout à l'opposé ils adaptent localement la loi à...leur intérêt, ou l'ignorent, ou font fi d'elle. Lequel intérêt est plutôt vil - argent, réseaux, influence et pouvoir.

Contre cet adversaire implacable et ses affidés, Ligue d'autant plus puissante que cachée sous le masque de la respectabilité, de la droiture et de l'honnêteté exemplaire (vieille lune balzacienne, ça, selon laquelle le vrai pouvoir est invisible, si ce n'est occulte), Montcornet tente de lutter, mal conseillé par son fourbe intendant, qu'il ne sait pas encore homme de main de son adversaire, Sibilet...

L'accueil:

Les Paysans fut on ne peut plus mal reçu, un tollé vindicatif.

Certes il est loisible de dégoiser à plaisir sur les préjugés, peut-être sur un manque d'objectivité de Balzac quant à la ruralité -m'avait-il assez hérissé avec Les Chouans ?- ou hausser les épaules de dédain sur son parisianisme, le qualifier de Valet de la Haute, ou encore le rapetisser sur le fait qu'il écrit en servant une cause politique -pas la même qu'à ses débuts, au reste- mais ce serait assez primaire.

Ce serait, à dire vrai, totale petitesse: s'il ne s'agissait que de la dernière cartouche, posthume, d'un ardent de la défense du Trône et de l'Autel, c'eût été une vaguelette dérisoire dans le paysage des Lettres du mitan du XIXème.

Le propos "vole" autrement plus haut que cela, d'où le fait qu'il fut ressenti comme si urticant, comme lorsque Balzac s'avance à démontrer qu'à l'aristocratie a succédé la médiocratie, guère plus reluisante, souvent même...plutôt moins: car, en fait de paysannerie, c'est la bourgeoisie arriviste que Balzac brocarde, à l'évidence.

L'on pressent bien que ce drame est suffisamment étoffé pour que les quolibets, qualificatifs hâtifs, dénigrements se doivent d'être mûris, élaborés, justifiés avec la profondeur qui sied, bref, ils sont malaisés. Face aux chorales des irrités, Georges Sand opte pour le désamorçage:
Georges Sand a écrit: Quant à ses opinions relatives aux temps qu’il a traversés, celles qu’il affectait sont radicalement détruites et balayées, à chaque ligne, par la puissance de son propre souffle.


Force est de reconnaître que tout se tient et fait sens - fût-il désagréable, ce sens - pas seulement par souci de roman réaliste, tout est finement obervé, déduit, composé.

Prêtons l'oreille à un Friedrich Engels, peu suspect de connivence avec l'homme Balzac (et dont l'indice -"vieux Balzac"- nous reporte à ce roman-là, clairement):
Friedrich Engels a écrit:Que Balzac ait été forcé d'aller à l'encontre de ses propres sympathies de classe et de ses préjugés politiques, qu'il ait vu l'inéluctabilité de la fin de ses aristocrates chéris et qu'il les ait décrits comme ne méritant pas un meilleurs sort, qu'il n'ait vu les vrais hommes de l'avenir que là seulement où l'on pouvait les trouver à l'époque, cela, je le considère comme un des plus grands triomphes du réalisme et l'une des caractéristiques les plus marquantes du vieux Balzac.


Au reste, des Zola ou des Hugo ne prétendent-ils pas que Balzac est un auteur social, non tenu pour tel la plupart du temps ?

Dans mon enfance et mon adolescence, très rurales, j'ai croisé des caractères tels que Balzac les croque, je n'ai eu aucune difficulté à imaginer des visages précis correspondant à nombre de portraits, qui pourtant peuvent paraître caricaturaux de façon exacerbée.   

Allez, un bref extrait, plutôt une mise en bouche:
Chapitre I a écrit:Beaucoup de gens s’attendent sans doute à voir la cuirasse de l’ancien colonel de la garde impériale éclairée par un jet de lumière, à voir sa colère allumée, tombant comme une trombe sur cette petite femme, de manière à rencontrer vers la fin de cette histoire ce qui se trouve à la fin de tant de drames modernes, un drame de chambre à coucher. Ce drame moderne pourrait-il éclore dans ce joli salon à dessus de portes en camaïeu bleuâtre, où babillaient les amoureuses scènes de la Mythologie, où de beaux oiseaux fantastiques étaient peints au plafond et sur les volets, où sur la cheminée riaient à gorge déployée les monstres de porcelaine chinoise, où sur les plus riches vases, des dragons bleu et or tournaient leur queue en volute autour du bord que la fantaisie japonaise avait émaillé de ses dentelles de couleurs, où les duchesses, les chaises longues, les sofas, les consoles, les étagères inspiraient cette paresse contemplative qui détend toute énergie ?

Non, le drame ici n’est pas restreint à la vie privée, il s’agite ou plus haut ou plus bas. Ne vous attendez pas à de la passion, le vrai ne sera que trop dramatique.
D’ailleurs l’historien ne doit jamais oublier que sa mission est de faire à chacun sa part ; le malheureux et le riche sont égaux devant sa plume ; pour lui, le paysan a la grandeur de ses misères, comme le riche a la petitesse de ses ridicules ; enfin, le riche a des passions, le paysan n’a que des besoins, le paysan est donc doublement pauvre ; et si, politiquement, ses agressions doivent être impitoyablement réprimées, humainement et religieusement, il est sacré.




Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Paysag11
Campagne, aux confins de la Bourgogne et du Morvan.


Mots-clés : #ruralité #social #violence #xixesiecle
par Aventin
le Dim 15 Nov - 18:26
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Honoré de Balzac

L’Envers de l’histoire contemporaine


Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 Quai10
"En 1836, par une belle soirée du mois de septembre, un homme d'environ trente ans restait appuyé au parapet de ce quai d'où l'on peut voir à la fois la Seine, en amont, depuis le Jardin des Plantes jusqu'à Notre-Dame, et en aval, la vaste perspective de la rivière jusqu'au Louvre". [première phrase du livre]





Roman, paru en 1848, deux parties, fixées sous les intitulés Madame de La Chanterie et L’Initié, il figure dans la section Scènes de la vie parisienne de La Comédie humaine.
Spoiler:


Celui-ci passe pour être le dernier roman achevé de Balzac.

En quelques mots, ce dont il s'agit:
Balzac présente une association dite bienveillante, une conspiration secrète fomentée autour d’une aristocrate inspirée par L’Imitation de Jésus Christ (celle de Gerson) Madame de La Chanterie, impliquée jadis dans une action de chouannerie d'importance.

Madame de la Chanterie, condamnée à de la prison, est soutenue par quatre personnages, emblématiques de l'Ancien Régime: un prêtre, un militaire, un magistrat et un bourgeois.
Godefroid, jeune homme un peu en recherche, un peu tombé du ciel, arrive dans cette compagnie. Le second "épisode" (ou seconde partir) narre la Première, les grands débuts, l'épreuve du feu de ce personnage principal (héros ?).

Cette impression que le vrai pouvoir est discret voire occulte, cela jalonne l'œuvre de Balzac. Mais ici, c'est nettement plus rare, l'"Éléphant de Tours" nous distille une ambiance d'entrée de roman des plus étonnantes, non sans rappeler les façons du roman noir, ou du moins quelques traits caractéristiques.

Toujours assez commun chez Balzac, un jeune homme en échec, essuyant claque sur claque, incapable, ayant failli aux espoirs parentaux comme à ses rêves de prime jeunesse, ayant dilapidé son avoir puis, plus tard, son héritage, vivant malgré tout largement au-dessus de ses moyens, un coléoptère nocturne attiré par les éclats étincelants de la vie parisienne, qui y brûle ses ailes après que ces lumières l'ont aveuglé.
Tel est Godefroid, un jeune homme ayant perdu gros, souhaitant donner une direction plus sobre, quasi érémitique à sa vie.  
Le hasard -la Providence- le fait remarquer un abbé, répondre à une annonce pour un logement à tarif modéré, et, de là, entrer dans une maison tenue par une sainte dame, habitée par de saints gentilshommes.

Le Bien et le Mal. Le Bien capable d'être aussi fort que le Mal, d'avoir le dessus. De même que le terme de Providence que j'employai ci-dessus, la Vertu, la Charité sont des notions désuètes, ou alors qui ressurgissent, incomplètes, nous d'autres appellations, en ce XXIème siècle, à ce qu'il me semble du moins.

Qu'a voulu faire Balzac ?
Un Balzac déjà malade, qui n'achèvera plus un roman, tout en en ayant un nombre plutôt conséquent en chantier ?
Lui qui a peint les turpitudes, la petitesse, les mœurs, la vilennie, la chicane, l'inhumanité, la débauche qui tue à petit feu et bien d'autres caractéristiques de ses contemporains, bref, l'insensé parce que trop vaste projet de consigner une Comédie humaine ??
 
Pourquoi faire ressortir, comme un pont au-dessus de son œuvre, des éléments bien présents dans Les Chouans ?  L'attaque de la diligence, les surnoms -de guerre - de Pille-Miche, Marche-à-Terre, etc... ?

Un Balzac pas très ordinaire, donc, qui questionne beaucoup, difficile à mettre en perspective.

La plume y reste succulente [mais] mordante, là-dessus vous n'aviez aucun doute:

Aussi Godefroid offrait-il ce visage qui se rencontre chez tant d’hommes, qu’il est devenu le type parisien : on y aperçoit des ambitions trompées ou mortes, une misère intérieure, une haine endormie dans l’indolence d’une vie assez occupée par le spectacle extérieur et journalier de Paris, une inappétence qui cherche des irritations, la plainte sans le talent, la grimace de la force, le venin de mécomptes antérieurs qui excite à sourire de toute moquerie, à conspuer tout ce qui grandit, à méconnaître les pouvoirs les plus nécessaires, se réjouir de leurs embarras, et ne tenir à aucune forme sociale.
Ce mal parisien est, à la conspiration active et permanente des gens d’énergie, ce que l’aubier est à la sève de l’arbre; il la conserve, la soutient et la dissimule.




Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 L_enve10
Première page.

\Mots-clés : #initiatique #religion #xixesiecle
par Aventin
le Dim 8 Nov - 20:19
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Honoré de Balzac

Ursule Mirouët

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Vue de Nemours

Roman, écrit en 1841, paru en 1842, dans les Études de mœurs, section des Scènes de vie de province de La Comédie humaine.

Une première partie dense, très habituelle chez Balzac, dans laquelle le lecteur sait qu'il ne faut pas lâcher, toute pétrie d'un fourniment de personnages, de caractères, de lieux campés, de multiples débuts de fils noués qui pourraient faire pelote plus tard.
Balzac vous l'a déjà faite, vous avez tenu ?

Bon, alors allons-y.

Le sujet:
Le roman commence en 1829, à Nemours.
Ursule a quinze ans et son parrain, le Docteur Minoret, plus de quatre-vingts. Elle est la fille légitime du demi-frère bâtard de la femme du Docteur Minoret (vous suivez ?).
Ursule est elevée entre trois vieillards de statuaire, qui se chargent de son éducation, autant de muses, autant d'exemples: le Docteur Minoret (la Raison, la Science), un ami de celui-ci, militaire à la retraite (la Droiture, l'Engagement), et l'abbé de la ville (la Foi, la Spiritualité). Les trois hommes sont, en outre, partenaires de trictrac.
L'enseignement dispensé par un professeur de musique vient compléter cette belle éducation.

Mais Ursule, au regard des lois de l’époque, n’est pour le Docteur Minoret ni une parente ni une étrangère, et tout testament en sa faveur un peu trop exclusive pourrait déboucher sur une action en justice de la part des héritiers plus directs: or le Docteur Minoret, bien que vivant simplement, est supposé être à la tête d'une jolie petite fortune.
Déjà, tous ces ayants-droits se méfient de la foi retrouvée du Docteur Minoret, en ignorant la cause, et craignent qu'il ne lègue à l'Église une part importante de ses avoirs...
Il s'inquiètent aussi pour le voisinage, tout en pensant que la noblesse de la maison d'en face est la meilleure protection face à une union qui serait mésalliance, avec la roturière Ursule Mirouët.
Ce qu'ils ne savent c'est que, parade à tout, le Docteur Minoret cache des titres au porteur d’une valeur considérable dans un livre de sa bibliothèque, à l'insu de tous...

Les portraits des ayants-droits héritiers du Docteur Minoret sont particulièrement gratinés, dans ce roman-là, Balzac fait dans le féroce, la caricature à gros traits.

Puis, histoire d'emmêler un peu le lecteur et de donner une petite dimension supplémentaire à l'opus, Balzac nous emmène, sans grande conviction pour ma part, sur les voies du Magnétisme, la transmission de pensée, les rêves prémonitoires, les visions, y voyant là une alliance Foi et Raison, lesquelles campaient au temps de Balzac plutôt dans des camps opposés, nous donnant au passage la clef de la métamorphose du Docteur Minoret.

Le jeu du préjugé face à la vérité, les dessous inattendus, les dons d'Ursule, on pressent Balzac en pleine prise de risque alors qu'il pouvait se cantonner à une sombre histoire d'héritiers avides dans une petite ville de province, comme on disait alors, et faire ronronner son roman, juste une brique de plus dans La comédie humaine: cela aurait pu être "et pour quelques pages de plus...", en somme.

Mais ça ne l'est pas. Et le final, avec l'issue de la belle histoire d'amour -un peu à l'eau de rose, juste ce qu'il faut- entre Ursule et son prince charmant, peut désarçonner bien des lecteurs balzaciens: ce n'est pas à quoi ils sont rompus !
Pourtant, l'avant-propos de l'auteur aurait pu mettre la puce aux plus aiguisées d'entre leurs oreilles...   


Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 H-300010
Un exemplaire de l'édition originale

Mots-clés : #amour #famille #jalousie #trahison #vieillesse #xixesiecle
par Aventin
le Mar 3 Nov - 18:27
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Alexandre Dumas fils

La Dame aux Camélias

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire - Page 2 9782253011842-001-t-1
Je reste plutôt sceptique. En quoi cette femme (Marguerite Gautier dans le roman) est-elle si exceptionnelle, ainsi que l’on s’acharne à le répéter au début (j’avoue que je n’aurais pas dû lire la préface lourdingue de Jules Janin, qui parle de Marie Duplessis ― la femme réelle dont Dumas fils s’est inspiré) ? He bien, je dois reconnaître que je prenais plus d’intérêt au livre lorsqu’elle prenait la parole, démontrant en tout simplicité que son histoire est plus compliquée que cela, tandis que les autres, Armand entre tous s’ébaubissent en phrases creuses. Le roman lui-même poursuit les hauts et les bas de cet Armand, jaloux à l’affût, poursuivant son amour ou feignant de ne point avoir de soupçon lorsque la situation est plus calme, ou plus idyllique selon son point de vue. On nous rebat les oreilles ou les yeux avec cette promesse d’un futur sans nuage (c’est cool, les nuages) d’une fidélité absolue et d’un amour parfait… !

…Sauf que, l’air de rien, on voit un homme en train d’assujettir complètement une femme à son amour. On voit toute la manipulation (des deux côté du reste, sauf qu’il n’y a qu’un vainqueur) qui entre en jeu, et puis tous les problèmes d’argent qu’entraîne cette union. « ah ! vous croyez qu’il suffit de s’aimer et d’aller vivre à la campagne d’une vie pastorale et vaporeuse ? Non, mon ami, non. A côté de la vie idéale, il y a la vie matérielle, et les résolutions les plus chastes sont retenues à terre par des fils ridicules, mais de fer, et que l’on ne brise pas facilement. » dit Prudence (elle porte un peu trop bien son nom celle-là). On voit que c’est la société qui rend leur relation impossible, mais Dumas fils ne l’attaque jamais réellement, il ne fait que « racheter » un type de femme (la femme entretenue, la femme chère) avec des tartines de bons sentiments.

Mots-clés : #amour #xixesiecle
par Dreep
le Lun 14 Sep - 17:23
 
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Sujet: Alexandre Dumas fils
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Blaise Cendrars

L'or

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Sous-titré: La Merveilleuse Histoire du général Johann August Suter.
Roman, 1925, 160 pages environ.

[relecture]

Accueil mitigé à sa sortie pour cet opus, longuement cogité et porté par l'auteur, mais écrit et publié avec célérité. On lui reproche de ne pas avoir fait œuvre de biographe fidèle, d'historien, mais justement c'est ce que Cendrars revendique - comme indiqué en préface il eût pu appeler Alexandre Dumas à la rescousse, selon celui-ci l'Histoire serait "un clou où l'on peut accrocher un beau tableau".

Usant d'effets stylistiques afin d'évoquer, surtout, une trajectoire, le roman prête à une lecture rapide, la course d'un projectile propulsé. Gâcher, çà et là, un peu de peinture afin de soigner davantage les décors et les seconds caractères ne m'eût pas déplu, à titre personnel: de la saveur, certes, dans les ingrédients, petit manque d'épices toutefois.

J-A Suter (Sutter dans la vraie vie), un Suisse de bonne famille, en rupture, passe en fraude en France puis s'embarque pour le Nouveau Monde, et, après moult expédients dont des actes répréhensibles, détours, temporisations, approches, gagne la Californie encore hispanisante et mexicaine, très peu peuplée, y fonde un empire, lequel viendra se fondre dans une Californie annexée pacifiquement à l'Union, avant d'être ruiné par la découverte d'or sur ses terres et la ruée qui s'ensuivit, drainant des flots continus de migrants s'accaparant ses terres, son personnel le quittant pour prospecter, puis, ruine consommée, devient quasi-aliéné (pour ne pas dire complètement fou), avec une phase de récupération par des illuminés mystiques et businessmen, et décéde en tentant de faire valoir ses droits à Washington: un beau sujet.
entame du chapitre 6 a écrit:- Vois-tu, mon vieux, disait Paul Haberposch à Johann August Suter, moi, je t'offre une sinécure et tu seras nourri, logé, blanchi. Même que je t'habillerai. J'ai là un vieux garrick à sept collets qui éblouira les émigrants irlandais. Nulle part tu ne trouveras une situation aussi bonne que chez moi; surtout, entre nous, que tu ne sais pas la langue; et c'est là que le garrick fera merveille, car avec les irlandais qui sont tous de sacrés bons bougres, tous fils du diable tombés tout nus du paradis, tu n'auras qu'à laisser ouvertes tes oreilles pour qu'ils y entrent tous avec leur bon dieu de langue de fils à putain qui ne savent jamais se taire. Je te jure qu'avant huit jours tu en entendras tant que tu me demanderas à entrer dans les ordres.
Un Irlandais ne peut pas se taire, mais pendant qu'il raconte ce qu'il a dans le ventre, mois, je te demande d'aller palper un peu son balluchon, histoire de voir s'il n'a pas un double estomac comme les singes rouges ou s'il n'est pas constipé comme une vieille femme.
Je te donne donc mon garrick, un gallon de Bay-Rhum (car il faut toujours trinquer avec un Irlandais qui débarque, c'est une façon de se souhaiter la bienvenue entre compatriotes), et un petit couteau de mon invention, long comme le coude, à lame flexible comme le membre d'un eunuque. Tu vois ce ressort, presse dessus, na, tu vois, il y a trois petites griffes qui sortent du bout de la lame. C'est bien comme ça, oui. Pendant que tu lui parles d'O'Connor ou de l'acte de l'Union voté par le Parlement, mon petit outil te dira si ton client a le fondement bouché à l'émeri. Tu n'auras qu'à mordre dessus pour savoir si elle est en or ou en plomb, sa rondelle.



Mots-clés : #aventure #colonisation #exil #historique #immigration #independance #justice #mondialisation #voyage #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 10 Sep - 7:12
 
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Sujet: Blaise Cendrars
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Guy de Maupassant

Fort comme la mort

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Publié en 1889, « Fort comme la mort » est le cinquième et avant-dernier roman de Guy de Maupassant.
Olivier Bertin, un peintre mondain renommé, entretient depuis plus d’une dizaine d’années une liaison avec la comtesse Anne de Guilleroy. Cette relation, qui se transmue au fil de temps en tendre et profonde amitié, est soudain troublée par l’apparition d’Annette, la fille d’Anne qui ressemble étrangement à sa mère.

« … La porte du grand salon s’ouvrit de nouveau, toute grande, et deux femmes en toilette de dentelle blanche, blondes, dans une crème de malines, se ressemblant comme deux sœurs d’âge très différent, l’une un peu trop mûre, l’autre un peu trop jeune, l’une un peu trop forte, l’autre un peu trop mince, s’avancèrent en se tenant par la taille et en souriant. »


Insidieusement, Olivier Bertin va tomber amoureux de la fille de sa maîtresse.
« Fort comme la mort » est un livre sur la vieillesse, celle du corps qui ne répond plus aux désirs et aux pensées qui eux ont gardé toute leur force d’origine. Le regard - le principal protagoniste est peintre - joue ici un rôle essentiel : apparition des rides, fraîcheur disparue du visage d’Anne, pratique sportive pour entretenir la musculature pour Olivier. Du reste, c’est une thématique importante chez l’auteur : le temps qui, de manière sournoise mais inéluctable,  détruit la beauté des êtres. Malgré la profondeur des sentiments qu’entretiennent Anne et Olivier, c’est le paraître qui gagne. Le visage d’Annette se superpose fatalement à celui de sa mère et vient occulter ce dernier.
« Fort comme la mort » est au final un roman d’amour, mais dans lequel l’apparence prime sur l’essence.
Un très vif plaisir de lecture vient de la clarté d’écriture de Maupassant et de sa capacité à traduire en quelques mots des scènes de la vie parisienne en ce début de la troisième république. C’est aussi un écrivain qui sait doser à merveille la quantité de vitriol à ajouter à son encre.

« L’air tiède et le soleil donnaient aux hommes des airs de fête, aux femmes des airs d’amour, faisaient cabrioler les gamins et les marmitons blancs qui avaient déposé leurs corbeilles sur les bancs pour courir et jouer avec leurs frères, les jeunes voyous ; les chiens semblaient pressés ; les serins des concierges s’égosillaient ; seules les vieilles rosses attelées aux fiacres allaient toujours de leur allure accablée, de leur trot de moribonds. »


« Les fiacres, les landaus lourds, les huit-ressorts solennels se déplaçaient tour à tour, distancés soudain par une victoria rapide, attelée d’un seul trotteur, emportant avec une vitesse folle, à travers toute cette foule roulante, bourgeoise ou aristocrate, à travers tous les mondes, toutes les classes, toutes les hiérarchies, une femme jeune, indolente, dont la toilette claire et hardie jetait aux voitures qu’elle frôlait un étrange parfum de fleur inconnue. »


« Apte à tout faire, semblait-il, il parlait de tout avec un semblant de compétence attachant et une clarté de vulgarisateur qui le faisait fort apprécier des femmes du monde, à qui il rendait les services d’un bazar roulant d’érudition. Il savait, en effet, beaucoup de choses, sans avoir jamais lu que les livres indispensables ; mais il était au mieux avec les cinq Académies, avec tous les savants, tous les écrivains, tous les érudits spécialistes, qu’il écoutait avec discernement. »


« C’était un de ces sérieux médecins mondains dont les décorations et les titres garantissent la capacité, dont le savoir-faire égale au moins le simple savoir, et qui ont surtout, pour toucher aux maux des femmes, des paroles habiles plus sûres que des remèdes. »



« Rocdiane, de bonne race, fréquentant tous les salons, mais suspect de tripotages d’argent de toute nature, ce qui n’était pas étonnant, disait Bertin, après avoir tant vécu dans les tripots, marié, séparé de sa femme qui lui payait une rente, administrateur de banques belges et portugaises, portait haut, sur sa figure énergique de don Quichotte, un honneur un peu terni de gentilhomme à tout faire que nettoyait, de temps en temps, le sang d’une piqûre de duel. »


« Il y avait le clan des élégants, des gommeux, des artistes du boulevard, le clan des académiques, corrects et décorés de rosettes rouges, énormes ou microscopiques, selon leur conception de l’élégance et du bon ton, le clan des peintres bourgeois assistés de la famille entourant le père comme un chœur triomphal. »



Mots-clés : #amour #vieillesse #xixesiecle
par ArenSor
le Lun 17 Aoû - 11:04
 
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Sujet: Guy de Maupassant
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